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« Perdre le nord », de Marie Payen, Théâtre du Rond-Point à Paris

Perdre-le-nord-Marie Payen © Arnaud Bertereau - Agence Mona

Errance en solitaire

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Dans « Perdre le nord », Marie Payen fait entendre l’odyssée des migrants, qu’elle rencontre depuis longtemps sur les trottoirs, dans des camps. De la collecte de leurs récits, elle fait jaillir des mots dans l’urgence de la performance. Un précipité hors des chemins balisés du théâtre.

Reine à l’agonie coiffée d’une couronne en fil de fer et vêtue d’une bâche en plastique translucide, jeune rescapée d’un naufrage, réfugiée à la Porte de la Chapelle… Perdre le nord revêt les atours d’une tragédie en trois actes avec une vieille perdant la raison, un orphelin bravant la tempête et une sans-papiers mourante, ayant oublié sa langue maternelle. Tous, entre le nord et le sud, sont au bord du chemin. Au bout de leur vie.

Perdre-le-nord-Marie Payen © Arnaud Bertereau - Agence Mona
© Arnaud Bertereau / Agence Mona

Dans le premier tableau, cette sorte de Médée a tout pour effrayer. On s’attend à ce qu’elle lance un mauvais sort à l’enfant dont elle narre la naissance. Cette allégorie de l’Europe fait référence à l’effondrement du Vieux Continent et de ses valeurs, notamment celle de fraternité. Cette possible terre d’accueil ne ferme-t-elle pas ses portes à double tour ?

Moins statique, le tableau suivant donne à voir une silhouette aux prises avec les éléments, un bateau à la dérive. La traîne de la reine se transforme en voile, avant de devenir couverture de fortune, pour cette femme affamée, dont la langue d’apatride dit beaucoup de l’exil. Sans force, loin de ses proches, elle ne peut plus avancer. Violence, injustice, misère humaine… Quel triste reflet de la réalité !

Sur le fil

Il fallait une comédienne de la trempe de Marie Payen pour oser se frotter à un tel sujet. Sans concession, elle y va. Ose. Pour son second solo, elle continue de prendre des risques. Ici, chaque soir, elle cherche de nouveaux mots. Traversée par toutes ces souffrances, son corps vibre, sa voix tremble et les mots se bousculent. Tantôt ses cris déchirent l’espace, tantôt sa voix douce tente d’apaiser les maux. Sur le fil, Marie Payen est comme hantée par toutes les personnes qu’elle a croisées, des victimes parmi tant d’autres d’un désastre humanitaire.

perdre-le-nord-Marie-Payen © arnaud-bertereau
© Arnaud Bertereau – Agence Mona

Toutefois, malgré la performance, l’interprète peine à nous toucher. Sans doute par crainte du pathos, elle nous maintient à distance, alors que tout devrait nous rapprocher. Marie Payen tente même la démesure, voire l’humour. Ces louables intentions ne suffisent pas. Le texte n’est pas toujours à la hauteur et la mise en scène est trop élémentaire. Hormis l’idée lumineuse du plastique, les choix scénographiques sont limités : une couverture de survie en fond de plateau, quelques ventilateurs et un puits de lumière. Enfin, pourquoi donc introduire et conclure le spectacle par un commentaire ? Sans doute par modestie, la difficulté de représenter l’irreprésentable, de faire spectacle.

L’autrice explique n’avoir appris et écrit aucun texte : « Il n’y a pas de mots, c’est indicible et inaudible ». Alors, à partir d’une structure définie, accompagnée par les compositions de Jean-Damien Ratel, interprétées en direct, elle se fraye un chemin dans l’« histoire noyée de l’eau rouge sang des mers d’orient » et dans « les larmes des parents perdus ». Poème ardent, cris dans la nuit, langue bigarrée… Le soliloque du début est comme la traversée du tunnel sous la Manche : une épreuve. Quand la parole ne jaillit pas, elle cherche péniblement une voie. Marie Payen a choisi de mettre le corps et le langage à vif pour mieux faire ressentir le désarroi de ces victimes, mais son errance en solitaire peut en égarer certains. Dommage ! 

Léna Martinelli


Perdre le nord, de Marie Payen

Compagnie Un+Un+

Avec : Marie Payen

Conçu en étroite collaboration avec : Leila Adham

Création son : Jean-Damien Ratel

Création lumière : Hervé Audibert

Durée : 1 heure

Théâtre du RondPoint • Salle Roland Topor • 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt • 75008 Paris

Du 4 au 29 décembre 2019, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30, le 24 décembre à 18 h 30, relâche les lundi, les 8 et 25 décembre

De 12 € à 29 €

Réservations : 01 44 95 98 21 ou en ligne

Tournée :

  • Le 20 janvier 2020, Carré scène nationale de Château-Gontier (53)

À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Le Présent qui déborde, de Christiane Jatahy, par Laura Plas

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