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« Saïgon », de Caroline Guiela Nguyen, Gymnase du Lycée Aubanel à Avignon

« Saigon » de Caroline Guiela Nguyen © Christophe Raynaud De Lage

« Le trajet des larmes » 

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

« Saïgon » est une fresque touchante qui nous donne à entendre le chant nostalgique des exilés d’Indochine. En français ou en vietnamien, les récits intimes se mêlent au maelström de l’histoire, sur fond de karaoké.

Dans cette pièce polyphonique, onze personnages nous mènent du Saïgon de 1956 (rebaptisé Hô-Chi Minh-Ville, en 1975) au Paris de 1996. Les histoires entrecroisées de l’exil se racontent au détour des conversations et des célébrations dans le restaurant tenu par l’inénarrable Marie-Antoinette, émigrée en France en 1956.

Les visages et les corps racontent à eux seuls les blessures de la géopolitique. Sur le plateau : quatre Vietnamiens, quatre Français et trois Viet-kieu (Vietnamiens de l’étranger), soit une multitude de langages… et d’incompréhensions. Antoine, né en France, est frustré de ne pas comprendre lorsque sa mère parle vietnamien. Quarante ans auparavant, un militaire français basé en Indochine, nourrissait la même frustration à l’écoute des intonations indéchiffrables de celle qui deviendra son épouse. Háo chante quant à lui un amour mort-né laissé au pays. Et Marie-Antoinette, toujours, cuisine pour réconforter les cœurs exilés avant de se retrouver seule et de pleurer son fils après chaque fermeture.

Bref, il y a toujours un être manquant à pleurer dans Saïgon. Le nom de la ville disparue dit, à elle seule, l’absence propice à la création d’un souvenir mythifié. L’enjeu du spectacle pour Caroline Guiela Nguyen est justement de « retrouver ce trajet des larmes ».

Un sous-texte d’une grande richesse

Pour ce projet, la metteure en scène a mené un travail d’enquête de deux ans entre la France et le Vietnam. Plus précisément, et pour traduire mieux la perméabilité aux êtres et aux choses qui fait le terreau de l’inspiration, elle préfère le terme d’ « errance » à celui d’ « enquête ». Ainsi, une partie de la distribution de la pièce s’est faite au hasard des rencontres, et des comédiens amateurs ont rejoint la compagnie professionnelle des Hommes Approximatifs autour de ce projet. Marie-Antoinette a réellement tenu un restaurant, par exemple. Les acteurs parlent inévitablement de leurs propres origines en incarnant leur rôles, si bien que la fiction et la réalité s’imbriquent, ce qui confère une profondeur rare aux personnages. Le passé parle à travers les comédiens jusque dans leurs silences.

L’écriture de la pièce s’est faite au plateau, c’est-à-dire que les comédiens ont été invités à improviser à partir d’un canevas. Même si le texte s’est figé au fil des répétitions – notamment pour pouvoir surtitrer les dialogues –, on ressent encore toute la fraîcheur et la sincérité dans les propos échangés.

« Saigon » de Caroline Guiela Nguyen © Christophe Raynaud De Lage
« Saïgon » de Caroline Guiela Nguyen © Christophe Raynaud De Lage

L’esthétique générale de la pièce est très inspirée par le cinéma. Le cadre scénographique, tout en longueur, est un véritable plan de cinémascope, tandis que les époques se succèdent grâce à de subtils fondus enchaînés. Une voix off, celle de la nièce de Marie-Antoinette, encadre le récit et la musique vient régulièrement donner de l’intensité au rythme de la pièce. Le revers de cet attirail mélodramatique est que l’on peine parfois à entendre les comédiens, notamment lorsqu’ils parlent dans un français approximatif. Ceux-ci ne projettent pas suffisamment la voix, d’autant plus qu’ils ne sont pas aidés par le lieu.

L’interprétation habitée des onze comédiens nous fait toutefois oublier les détails acoustiques. On savoure en effet l’opportunité qui nous est donnée ici de voir des profils aussi variés sur scène. Un récit commun émerge malgré les différences d’âges, de morphologies, de langages. Tout ce petit monde se met à table et nous montre l’autre visage de l’Histoire, celui qui nous permet de rattacher des faits indigestes à des émotions vécues. Naturellement, les larmes viennent finir leur trajet sur les joues des spectateurs. 

Bénédicte Fantin


Saïgon, de Caroline Guiela Nguyen

Mise en scène : Caroline Guiela Nguyen

Collaboration artistique : Claire Calvi

Dramaturgie : Jérémie Scheidler, Manon Worms

Traduction : Duc Duy Nguyen, Thi Thanh Thu Tô

Scénographie : Alice Duchange

Lumière : Jérémie Papin

Son : Antoine Richard

Costumes : Benjamin Moreau

Avec : Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Truc Ly Huynh, Hoàng Son Lê, Phú Hau Nguyen, My Chau Nguyen Thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu Tô, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghia

Compagnie Les Hommes Approximatifs

Durée : 3 h 45 entracte compris

Spectacle en français et vietnamien surtitré en français

Photo : © Christophe Raynaud De Lage

Gymnase du lycée Aubanel • 14 rue Palapharnerie • 84000 Avignon

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Du 8 au 14 juillet 2017, à 17 heures, relâche le 11 juillet

Billetterie : 04 90 14 14 14

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