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« Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu », du Cirque Plume, le Granit à Belfort

« Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu » © D.R.

Plume nous donne
des ailes !

Par Maud Sérusclat-Natale
Les Trois Coups

Le Granit de Belfort, associé à MA scène nationale, réservait à son public un très beau rendez-vous pour clore sa saison. Le célèbre Cirque Plume s’est arrêté à la Maison du peuple pour y jouer « Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu ». Pionnière du « nouveau cirque », celui qui amuse et bouleverse, la compagnie n’a pas déçu et nous a livré un pur concentré de bonheur, de fête et de poésie.

Le plateau est noir. La lumière, tamisée. Les pendrillons de velours sont en place, deux ou trois objets gisent sur les planches. Pas de piste, pas de fauves apprivoisés qui rugissent en coulisses, pas de chapiteau ou de trapèze, mais un vague monticule de toile en fond de scène… Rien qui ne nous fasse penser à un spectacle de cirque. À première vue. Quand nos yeux sont attirés par quelques plumes qui virevoltent avec délicatesse et légèreté pour se poser sur… un piano qui descend peu à peu des cintres ! Le ton était donné. Le Cirque Plume, ce n’est pas un cirque ordinaire, les clowns n’ont pas de nez rouge, les acrobates ne portent pas de justaucorps et les animaux ne sont pas ceux que l’on croit. Créée il y a une trentaine d’années par des fils et filles d’ouvriers du pays de Montbéliard, la compagnie cherchait à restituer au monde meurtri du vingtième siècle poésie et humanité, à faire vivre des moments de joie et de fraternité à tous, humblement. Bernard Kudlak, qui la dirige, décrit son travail comme « fait par des vivants pour des vivants : il est joyeux, coloré, profond, poétique, sale, brouillon, précis, comme la vie ». Voilà qui est prometteur et tout à fait à la hauteur du spectacle que j’ai vu ce soir.

Évidemment, c’est du boulot de pros. Chaque performance est impeccablement réalisée et requiert une précision et un talent remarquables et remarqués. Nos yeux se régalent : la funambule danse avec finesse et grâce sur son fil, la trapéziste escalade l’invisible et se livre à de folles ascensions, le clown nous fait rire presque sans dire un mot et Monsieur Loyal nous raconte son histoire. Tout y est. Mais tout prend une autre dimension. Car il ne s’agit pas seulement d’une suite de performances. C’est une histoire, une histoire écrite comme un livre en prose poétique et qui nous emporte dans un tourbillon régressif avec une intensité magique et immédiate.

L’hommage rendu à la Franche-Comté

Tempus fugit, c’est en effet un retour sur les trente ans de la compagnie, sur les liens que ses membres ont tissés avec leur temps, leur public, leur art mais aussi leur terre. Les clins d’œil aux spectacles précédents sont nombreux, mais ce qui frappe, c’est l’hommage rendu à la Franche-Comté, et particulièrement au Doubs, berceau de la compagnie. Terre polymorphe dans laquelle retentissent les fers des grandes industries qui s’usent et où chuchotent les mécanismes d’orfèvre de l’horlogerie la plus fine. Terre de métissage, entre ruralité et zones urbaines sensibles, elle s’est figée dans le temps ce soir et s’est laissé regarder, plus belle que jamais. Serait-ce cela ce « chemin perdu » que Plume veut nous faire sentir ? Ce temps, si dur à trouver, celui de faire une pause, de s’autoriser à voir le monde sous un autre jour, avec un autre prisme ? Bernard Kudlak nous le laisse croire et explique que, en horlogerie, le « chemin perdu » c’est « l’espace entre le tic et le tac ». Nous y étions ce soir, c’est sûr. Et dans cet espace-temps magique, la région, ma région est devenue belle. Plume l’a rendue douce, poétique, vivante, pétillante même. Il m’a rappelé que j’en étais, et m’a donné envie d’y replonger avec gourmandise et surtout, surtout, avec espoir. Comment ? En envoyant du lourd dès les premières minutes.

Le piano n’a pas eu le temps d’atterrir que nous nous envolons déjà, grâce à la voix profonde et envoûtante du chanteur Benoît Schick. Nos oreilles ont bien fait de venir, elles aussi. La musique du spectacle, interprétée par tous les artistes, soit une douzaine, c’est à lui qu’on la doit. Et la fine équipe ne se contente pas de jouer du trombone à coulisse, de la batterie ou du saxophone, ce qu’ils font d’ailleurs très bien. Ils frottent des tubes de verre, s’inventent eux-mêmes d’autres instruments de musique et font décoller les violonistes. C’est beau, très beau, et en même temps tout a l’air simple, on est bluffé par l’incroyable harmonie et par l’authenticité de ce travail.

On est gagné par l’émotion presque instantanément. Nos sens sont très vite submergés par l’intensité de ce qu’on voit, de ce qu’on entend, par cette énergie pure qui nous éclabousse, par cette ambiance chaleureuse et festive qui nous enveloppe. On rit, on tremble, on admire, on pleure aussi, on a l’impression d’être sur des montagnes russes. Ça secoue les cœurs d’enfant, cachés sous les étoffes ordinaires et embrumées des spectateurs qui sortent du bureau. En quelques minutes, ça palpite à l’intérieur, et entre deux vertiges nous avons tous retrouvé les yeux ébahis de nos six ans, comme par magie. Ce soir, j’ai compris que le monde ne fait pas plier les rêveurs. Qu’ils sont toujours là. Même à côté de chez moi. Ne vous privez pas des ailes que cette ballade intime et grandiose vous donnera à coup sûr. 

Maud Sérusclat-Natale


Tempus fugit ? Une ballade sur le chemin perdu

Cie Cirque Plume

Écriture, mise en scène, scénographie et direction artistique : Bernard Kudlak

Avec : Nicolas Boulet, Margo Darbois, Grégoire Genss, Mick Holsbeke, Sandrine Juglair, Pierre Kudlack, Alain Mallet, Maxime Pythoud, Diane‑Renée Rodriguez, Molly Saudek, Benoît Schick, Brigitte Sepaser, Laurent Tellier‑Dell’Ova

Composition, arrangements et direction musicale : Benoit Schick et Robert Miny

Création costumes : Nadia Genez

Création lumière : Fabrice Crouzet

Création son : Jean-François Monnier

Inventions et machinerie : Yan Bernard

Le Granit, scène nationale • 1, faubourg de Montbéliard • 90000 Belfort

Réservations : 03 84 58 67 67

reservation@legranit.org

Les 9, 10, 11 12 et 13 juin 2015 à 20 heures, le 12 juin à 17 heures

Salle de la Maison du peuple

Dès 5 ans

Durée : 1 h 45

15 € |30 €

Tournée :

  • Du 29 septembre au 4 octobre 2015 à Chalon-sur-Saône à l’espace des Arts
  • Du 15 au 25 octobre 2015 à Auch au Pôle national des arts du cirque
  • Du 31 octobre au 7 novembre 2015 à Marseille au Silo
  • Du 25 novembre au 6 décembre 2015 à la Comédie de Clermont-Ferrand
  • Du 15 au 20 décembre 2015 à Perpignan au Théâtre de l’Archipel
  • Et d’autres dates en 2016 à consulter sur le site de la compagnie : www.cirqueplume.com

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