Women in chains, women in pain
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Fatima Soualhia Manet porte à la scène des photographies de femmes prises en prison par Jane Evelyn Atwood. Un spectacle bouleversant et pourtant pudique, qui nous invite à prendre conscience de la violence imposée aux femmes en prison et au dehors.
De 1989 à 1998, la photographe Jane Evelyn Atwood a partagé l’existence de femmes incarcérées aux États-Unis comme en Europe. Le livre Too Much Time témoigne de cette expérience marquante, en associant aux images des témoignages qui rendent la parole aux prisonnières. Fatima Soualhia Manet semble prolonger aujourd’hui ce geste artistique en leur donnant sur scène des corps et des voix.
D’ailleurs, le spectacle s’impose par son dépouillement et son souci de fidélité. Une de ses forces est de se mettre au service de la photographie. Un grand écran occupe ainsi le centre de la scène. Quand les comédiens prennent la parole, ils s’astreignent à porter les témoignages sans chercher à les incarner. Quand ils se taisent, ils restent assis à la lisière du plateau. Le travail sur la lumière de Flore Marvaud, précis et esthétique, les plonge, de plus, dans une semi-obscurité ; il fait un bel écho au travail photographique.
L’histoire d’une vie
Évidemment, cet effacement s’explique par une posture éthique. Dans l’album Too Much Time, la femme photographiée se dégageait de l’objectivisation du cliché par le témoignage. Elle réinscrivait le moment carcéral dans l’histoire d’une vie. De même, ici, la pudeur du jeu et de la mise en scène permet de ne pas nous détourner des prisonnières. Elle nous laisse plutôt dans un face-à-face avec elles qui retranscrit peut-être celui de la photographe avec ses interlocutrices.
Or, leurs témoignages sont bouleversants, d’autant qu’ils possèdent une dimension tragique. De fait, si les protagonistes changent de prénom, le dénouement est toujours tristement sanglant. Les bourreaux y ont été d’abord des victimes et semblent s’inscrire dans un cycle criminel voué à ne pas avoir de fin. En définitive, tous pourraient s’intituler « Itinéraires de femmes gâchées » : presque tous évoquent la violence des pères, des frères, que cautionnent des sociétés complices.
« Sois battue, sois violée, sois humiliée et tais-toi ! Et le gnouf pour celle qui ne tend pas l’autre joue ! ». L’impact de ces paroles est démultiplié par le travail musical subtil que propose François Duguest. Philippe Claudel, dans Le Bruit des Trousseaux, parle de l’importance des sons dans le monde carcéral ; le spectacle nous les fait entendre. Il parvient même à nous faire ressentir les émotions des prisonnières, la violence qu’elles subissent. Face à cette déferlante sonore, s’élève la voix chantante de Jane Evelyn Atwood, qui rend compte de sa démarche et nous aide à comprendre. Ce document, où la photographe est filmée au plus près, est l’une des pulsations et des pépites du spectacle. Elle y affirme : « on a parfois l’impression que les photos ne servent à rien mais il faut les faire quand même ».
En sortant du spectacle, on se dit aussi qu’il fallait le faire et on aimerait, qu’en plus d’être abouti, il serve à quelque chose…¶
Laura Plas
Too Much Time – Women in Prison, de Jane Evelyn Atwood et Fatima Soualhia Manet
Le livre Too Much time de Jane Evelyn Atwood a été édité aux éditions Phaidon
Photographies et textes : Jane Evelyn Atwood
Adaptation théâtrale et conception : Fatima Soualhia Manet
Avec : Mara Bijeljac, Danica Bijeljac, Christophe Casamance, Fatima Soualhia Manet, Anne-Sophie Robin, Alice Varenne
Libre Parole Compagnie
Durée : 1 heure
À partir de 13 ans
Photo © Fatima Soualhia Manet
La Loge • 77, rue de Charonne • 75011 Paris
Du 17 au 20 avril 2018 à 21 heures
De 10 € à 16 €
Réservations : 01 40 09 70 40
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