« Tout devrait disparaître », de Matéï Visniec, Théâtre des Corps‐Saints à Avignon

rideau-rouge

Un lavage de cerveau grisâtre

Par Émilie Démoutiez
Les Trois Coups

Tiré de « Théâtre décomposé ou l’Homme poubelle », de Matéï Visniec, « Tout devrait disparaître » est une proposition scénique de la compagnie de l’Autre‑Désir autour du lavage de cerveau. Timide et flottant.

L’homme poubelle. L’espèce humaine malade de son passé brutal. Théâtre décomposé pour une humanité décharnée. La faillite de l’humain se traduit dans ces textes de Visniec aux accents kafkaïens par l’invasion de l’animalité. Dans une humanité dépossédée d’elle-même, c’est l’animal qui nous ronge, envahit notre espace ou nous renvoie le miroir obsédant de notre médiocrité cafardeuse.

Ce Théâtre décomposé comporte vingt‑quatre tableaux que l’auteur invite à utiliser comme matériau et à recomposer sur scène. La compagnie de l’Autre‑Désir choisit ainsi de faire du lavage de cerveau, érigé en principe fondamental de fonctionnement d’une société, le fil rouge de cette composition scénique. C’est le grand nettoyage, et toutes les valeurs sont appelées à disparaître. Vêtus de noir sur fond noir, les trois comédiens nous invitent à un bon lavage de cerveau pour nous permettre de vaincre nos peurs, de nous rapprocher de Dieu et d’accéder au bonheur suprême. C’est par cette entrée que nous pénétrons dans l’univers de l’auteur, peuplé de fantasmagories, d’angoisse et d’absurdité. De l’humour noir, très noir.

Gérard Col, metteur en scène, a choisi de rester au plus près du texte, jusqu’à en être illustratif. Et c’est dommage, parce qu’un texte pareil mérite qu’on s’y engouffre, qu’on l’explore, qu’on le décale, afin que le spectateur puisse créer ses propres images. Si le Gramophone dans lequel un cafard domestiqué tombe en chute libre est présent sur scène, la métaphore s’annule par effet de redondance. Et l’écoute en pâtit.

L’autre problème fondamental est à mon sens celui de l’adresse : tantôt le public est clairement interpellé, tantôt il est exclu de la représentation. Dans le cas d’un monologue, le comédien semble ainsi ne plus savoir exactement à qui il s’adresse. Au public ? À lui-même ? À personne ? Je m’interroge et, pendant ce temps, les paroles s’envolent. C’est d’autant plus regrettable que les comédiens ont tous trois des personnalités intéressantes.

Ce flou dans la direction d’acteurs est à l’image de la composition générale, flottante et inaboutie. Trop de détails sont laissés au hasard, tels que l’éclairage écrasant qui donne au décor noir un aspect gris sale, ou les grésillements de la bande‑son. Bref, Tout devrait disparaître pèche par manque d’audace, de fantaisie et d’exigence. Le texte de Visniec reste malgré tout d’une grande force suggestive et frappe par sa pertinence. 

Émilie Démoutiez


Tout devrait disparaître, d’après Théâtre décomposé ou l’Homme poubelle, de Matéï Visniec

Cie de l’Autre‑Désir • 3, rue de la Citadelle • 01000 Bourg‑en‑Bresse

Tél. 04 74 32 69 76

Mise en scène : Gérard Col

Avec : Pierre Esposito, Aurélie Girodon et Valérie Guillon

Décors : Mylène Murtin

Théâtre des Corps‑Saints • 76, place des Corps‑Saints • 84000 Avignon

Tél. 04 90 16 07 50

Du 6 au 30 juillet 2006, JOURS PAIRS

Durée : 1 h 15

Plein tarif : 13 euros, tarif pro : 3 euros, tarif abonné : 9 euros

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