Les contours du totalitarisme
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Une conversation imaginaire entre le compositeur Manuel de Falla et les geôliers de Federico García Lorca nous interroge sur l’essence de la dictature.
En 1936, les phalangistes nationalistes arrêtent à Grenade celui qui passe alors pour le plus grand poète du pays. Incriminé pour ses idées républicaines autant que pour son homosexualité, García Lorca voit son sort laissé aux mains de José Valdés Guzmán, gouverneur civil de la ville. Le dramaturge François-Henri Soulié imagine une entrevue entre ce dernier et le compositeur Manuel de Falla, le plus célèbre musicien espagnol du moment, venu plaider la cause de son ami poète.
Quelle excellente idée de choisir un catholique fervent et conservateur, dont les Franquistes érigeront l’œuvre au rang de musique officielle, comme contradicteur d’une dictature qui prétend défendre les mêmes idées que lui ! Obligé par amitié de se faire l’avocat du diable, le musicien se dévoile, par la force des circonstances, comme un personnage tout en nuances. Et les contours du totalitarisme apparaissent précisément comme un rempart contre toute forme de pensée subtile : il y a les bons et les mauvais, les élus et les condamnés.
L’affrontement entre ces deux façons de concevoir le monde, implanté dans un très beau décor habilement mis en valeur par un jeu de lumière original réalisé à partir de lampes de bureau, n’est pas sans intérêt. On peut néanmoins regretter le tour que prend rapidement la pièce et dont elle ne sort plus guère jusqu’à la fin : celui d’un théâtre de conversation.
En effet, le texte comporte beaucoup de trouvailles mais insuffisamment théâtrales. Peut-être aurait-on pu exploiter davantage le thème de la sexualité, sa condamnation, son refoulement, ses non-dits, qui sont un des substrats communs à bien des dictatures ? La sexualité de García Lorca est copieusement évoquée, mais pas celle de Falla, chantre de la pureté du corps mort des suites de la syphilis, catholique torturé refusant, à ce titre, de porter des jugements péremptoires sur ses frères humains. Le tarissement de l’inspiration artistique aurait pu être un autre thème susceptible de relancer la tension dramatique. Car, en 1936, de Falla n’a plus rien composé depuis dix ans. C’est un homme usé, amer, qui se présente face au pouvoir décidé à le statufier vivant. Une belle entreprise, donc, mais le spectacle peine à trouver son rythme.¶
Élisabeth Hennebert
Une nuit de Grenade, de François-Henri Soulié
Mise en scène : Jean-Claude Falet
Réalisation décors : Nathalie Desbruères
Réalisation costumes : Marie Delphin
Création lumière : Jean-Claude Fall
Régie générale : Cédric Poulicard, Régis Bergadi
Avec : François Clavier, Mathias Maréchal et Mathieu Boulet
Théâtre la Forge • 19, rue des Anciennes Mairies • 92000 Nanterre
Réservations : 01 47 24 78 35
Jusqu’au 12 mai 2017, du mardi au samedi à 20 h 30 et le dimanche à 16 heures, relâches les 4 et 8 mai
Durée : 1 h 20
De 8 € à 20 €