Grandeur, décadence… et humour !
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Élise Vigier et Marcial Di Fonzo Bo mettent en scène la dernière pièce du dramaturge et cinéaste tchèque Petr Zelenka. Portrait d’une directrice de casting carriériste qui perd le contrôle de sa vie, « Vera » est une comédie grinçante parfaitement maîtrisée.
L’ascenseur qui mène au sous-sol de la morgue s’ouvre sur une femme tirée à quatre épingles en pleine conversation téléphonique. Identifier le corps d’une actrice sous contrat dans son agence semble être une tâche de plus dans la to do list du jour : « Si quelqu’un se suicide uniquement pour m’obliger à répondre au téléphone… Enfin quand même – ça n’a pas de sens non ? ». Toute la cruauté de Vera s’incarne dès la scène d’ouverture.
On l’aura compris, Vera est une femme sûre d’elle, indépendante, enivrée par le pouvoir et l’argent. Son terrain de jeu ? La toute jeune société capitaliste tchèque qui succède à quarante et un ans de régime socialiste. Véritable pilier du show-business, Vera s’est jetée à corps perdu dans la course à la réussite sociale, se libérant par la même occasion des anciennes formes de patriarcat. Les hommes de sa vie (son père, son mari et son frère) sont décontenancés face à sa volonté d’organiser le quotidien familial comme on gère une P.M.E.
Guidée par son ambition dévorante, Vera fusionne avec une agence anglaise dont les deux directeurs s’avèrent être de redoutables compétiteurs. Ce tournant professionnel est le début d’une longue descente aux enfers qui va contaminer tous les pans de la vie de Vera, pourtant persuadée qu’elle peut encore garder le contrôle : « Mon père vient de mourir, je divorce, mais je maîtrise tout ». C’est dans la chute que se révèle toute la force du personnage qui conserve son intelligence et un humour ravageur même au plus fort de la tempête.
La construction de la pièce est le reflet de la volonté de toute-puissance du personnage éponyme : Vera est présente dans chacune des scènes. Autour de ce pivot central gravite une galerie de personnalités incarnées par cinq comédiens. L’humour surgit essentiellement de l’interprétation de figures outrées qui dépeignent un microcosme vicié : les directeurs de l’agence anglaise ressemblent à des robots humanoïdes, Bob est l’archétype de l’acteur mégalomane et dépressif, le photographe de l’agence est un modèle de superficialité, etc.
René Simon disait : « Une pièce bien distribuée est une pièce à moitié jouée ». La formule fait sens lorsqu’on voit l’envergure que Karin Viard donne au rôle central. L’actrice a l’autorité naturelle, l’humour et la distance nécessaires pour nous faire aimer la monstruosité de Vera.
L’efficacité de la comédie tient également à son rythme. L’enchaînement des scènes se fait à la manière de plans cinématographiques. L’omniprésence de la vidéo confirme cette esthétique, laissant penser que le travail du dramaturge est empreint de son expérience de réalisateur. Plus la pièce avance, plus l’intrigue se condense. Les intermèdes chantés dans lesquels un chœur annonce la chute à venir ponctuent les changements de décor en même temps qu’ils provoquent un décalage comique. Si bien qu’on ne s’ennuie pas une seconde pendant les deux heures que dure la pièce. ¶
Bénédicte Fantin
Vera, de Petr Zelenka
Mise en scène : Élise Vigier, Marcial Di Fonzo Bo
Avec : Karin Viard, Helena Noguerra, Lou Valentini, Pierre Maillet, Marcial Di Fonzo Bo, Rodolfo De Souza
Assistés de : Alexis Lameda
Traduction : Alena Sluneckova
Version pour la scène : Pierre Notte
Scénographie : Marc Lainé, Stephan Zimmerli
Lumières : Bruno Marsol
Création son : Manu Léonard
Costumes : Anne Schotte
Maquillage et perruques : Cécile Kretschmar
Images : Nicolas Mesdom, Romain Tanguy, Quentin Vigier
Photos : © Tristan Jeanne‑Valès
Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris
Réservations : 01 42 74 22 70
Site du théâtre : www.theatredelaville-paris.com/
Métro : Abbesses
Du 23 mars au 8 avril 2017, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche 26 mars à 15 heures
Durée : 2 h 10
30 € | 27 € | 18 € | 10 €