« A Disappearing Number », du Théâtre de Complicité, Théâtre Nanterre‐Amandiers à Nanterre

Salle de spectacle

Un fascinant voyage

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Précurseur dans l’utilisation du multimédia, le Théâtre de Complicité impose depuis longtemps l’originalité de sa recherche théâtrale. Le metteur en scène anglais Simon McBurney n’est pas seulement expert dans l’utilisation des nouvelles technologies. Les choix thématiques et l’évolution des formes dramatiques qu’il propose font de « A Disappearing Number » un des spectacles les plus stimulants du moment, un fascinant voyage dans les contrées les plus lointaines.

Les mathématiques vous ennuient ? Ce spectacle vous ouvrira des perspectives insoupçonnées. Dense et passionnante pour les spécialistes, cette pièce est particulièrement stimulante, même pour ceux que la moindre évocation de cette matière rend allergique. Car A Disappearing Number ne parle finalement pas de mathématiques mais de création, en explorant les multiples processus à l’œuvre. Les mathématiciens, comme les artistes, rencontrent des problèmes de forme. À l’instar des musiciens ou des poètes, les scientifiques mènent des recherches pour élaborer des constructions qui créent du sens.

Le premier mérite de cette pièce est de célébrer la mémoire d’un génie, surtout que, dans sa course perpétuelle vers le futur, la science, se retourne rarement sur son passé. Pendant la Première Guerre mondiale, un mathématicien anglais de l’académie de Cambridge, G. H. Hardy, essaie de comprendre les idées de Srinivasa Ramanujan, un mathématicien indien surdoué, qui cherche à résoudre des équations mathématiques complexes. Mais dépourvu de connaissances théoriques, celui-ci rencontre des difficultés à formuler ses découvertes…

Des quêtes – voire une enquête –, voilà comment le Théâtre de Complicité nous tient en haleine durant près de deux heures. Est-ce que le langage mathématique transcende les différences culturelles ? Au-delà des problématiques liées au passé colonial et aux relations complexes entre l’Inde et la Grande-Bretagne, sont évoquées les croyances hindoues. Comment parvenir à tendre vers l’infini ? Ce concept mathématique bien réel devient aussi la métaphore d’une quête de l’autre à jamais inachevée. Quels outils se donne l’homme pour mettre en équation sa propre énigme ?

Ce n’est pas seulement une pièce sur notre irrépressible compulsion à comprendre, sur l’imagination et la nature de l’infini. C’est un remarquable cheminement aux accents cosmiques, qui n’en oublie pas de traiter du monde d’aujourd’hui, notamment de la mondialisation ou de notre inexorable fuite en avant.

Les maths vous rebutent toujours ? Vous n’en croirez pas vos yeux et vos oreilles ! Les écrans se couvrent de fractions, d’algorithmes, de signes étranges, et on se surprend à trouver cela beau. Rendre ces idées mathématiques sur le plateau était une sacrée gageure. Le risque d’une trop grande abstraction, réelle. En traduisant chaque nombre par un son, un rythme ou un mouvement, le Théâtre de Complicité trouve une dynamique physique, explore de nombreuses configurations et motifs pour trouver des connections entre les diverses histoires.

C’est non seulement très réussi d’un point de vue visuel, mais certaines juxtapositions créent des résonances particulièrement intéressantes, comme le frénétisme des tablas indiennes. Créative et ludique, cette réflexion l’est à coup sûr. Jouer ainsi avec les nombres et les formules décomplexe, même les cancres.

Le raisonnement mathématique vous échappe encore ? Plusieurs récits se superposent comme si coexistaient des réalités parallèles. Les deux histoires principales, occupant un espace scénique – et géographique – commun, ne cessent de se faire écho dans deux époques différentes. Ne vous est-il jamais arrivé de vous inventer une fiction en reliant les points lumineux d’un ciel étoilé ? Tracer des lignes, imaginaires ou non, est effectivement un bon moyen de remédier au chaos environnant. Simon Mc Burney le sait bien, lui, expert en rebondissements, digressions, contradictions. Il sait donner du sens à partir d’histoires apparemment déconstruites en nous permettant de nouer les évènements les uns aux autres par une savante alchimie de moyens.

Au centre de la scène, un tableau sert aussi d’écran et de sas entre les différentes époques. L’objet coulisse de manière latérale et verticale. Les acteurs jouent devant, derrière, et se glissent en dessous pour basculer dans un ailleurs spatio-temporel. L’imbrication virtuose entre le texte, les acteurs, la scénographie, les images et la musique contribue à la fluidité du récit. Comme Robert Lepage, Simon McBurney compose ses scènes comme les plans d’un film, joue des accélérations et des fondus enchaînés. L’utilisation de la vidéo, des écrans multiples, de la profondeur de champ, de la lumière et de la voix off transforme radicalement les modes narratifs. Résultat : sa mise en scène ingénieuse croise les histoires, nous fait traverser les continents, nous téléporte du début du xxe siècle à aujourd’hui dans une orchestration magistrale.

Oui, Simon McBurney est un magicien ! S’il s’est penché sur les mécanismes du cerveau, en s’adaptant particulièrement aux évolutions induites par les nouvelles technologies, le flot incessant d’informations, la vitesse accrue à laquelle celles-ci nous parviennent, il traduit le résultat de ses recherches par une très grande poésie. Ce spectacle très sophistiqué n’en oublie pas pour autant l’émotion qui émane des questions les plus simples. D’une absolue maîtrise tant du point de vue narratif qu’esthétique, ce spectacle exceptionnel, couronné par de nombreux prix, a reçu un accueil enthousiaste du public. Et c’est vraiment la moindre des choses ! 

Léna Martinelli


A Disappearing Number, du Théâtre de Complicité

www.barbican.org.uk

email@complicite.org

www.festival-automne.com

Conception et mise en scène : Simon McBurney

Avec : David Annen, Firdous Bamji, Paul Bhattacharjee, Hiren Chate, Divya Kastury, Chetna Pandya, Saskia Reeves, Shane Shambhu

Musique originale : Nitin Sawhney

Scénographie : Michaël Levine

Lumière : Paul Anderson

Vidéo : Sven Ortel pour Mesmer

Son : Christophe Shutt

Costumes : Christina Cunningham

Photos : Robbie Jack

Théâtre Nanterre‑Amandiers • 7, avenue Pablo‑Picasso • 92000 Nanterre

R.E.R. Nanterre‑Préfecture

Réservations : 01 46 14 70 00

Du 27 septembre au 3 octobre 2008 à 20 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi

Durée : 1 h 50

En anglais surtitré

25 € | 12 €

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