La noirceur des existences enfermées
Par Christophe Giolito
Les Trois Coups
Succès de la fin de l’année dernière, le sombre huis clos familial de Michel Tremblay est repris pour deux mois À la folie Théâtre en cette fin de saison.
La pièce du truculent écrivain québécois, peintre de la quotidienneté pathétique, auréolé d’une notoriété internationale (le spectacle Belles-sœurs a été récemment très bien accueilli à Paris), est montée par Christian Bordeleau, dont c’est la troisième mise en scène de l’auteur. Servi par des acteurs remarquables, ce texte cruel peint un monde de douleur, de frustration, de souffrance, de claustration irréversibles.
La lumière fait surgir du noir des personnages contrastés, figés dans une identité qu’on sent d’emblée pesante. Les premières répliques sont hachées, les interruptions d’éclairage sont l’occasion de découper la phrase de chacun des protagonistes en autant de mots brefs comme des onomatopées. Le plateau est divisé en deux scènes : le dialogue central entre les deux sœurs est encadré par les répliques acerbes que se jettent sans se regarder leurs parents animés d’une virulence nourrie.
La pièce se présente comme une descente aux enfers : il s’agit de la reconstitution de la détresse d’une famille en proie à ses tourments constitutifs. Les dialogues explorent la cruauté de l’existence de chacune des personnes impliquées dans ce drame et les déchirures que leur assemblage leur impose. Un texte terrible, qui associe dialogues incisifs, piquants, cruels, et monologues lucides, piteux, pathétiques. Plus ces êtres échangent, plus ils s’enferment, s’enfonçant dans leur identité sclérosée.
L’abîme de l’existence
La construction du propos est élaborée comme une élucidation in situ : on reconstitue l’histoire du couple géniteur à travers le prisme de la rivalité des deux sœurs aux personnalités radicalement opposées. Les fautes de français, les traits du dialecte québécois, des répliques truculentes et crues agrémentent le propos cruel, imposant sa terrible logique. On s’empêtre peu à peu dans l’abîme de l’existence, dans l’étau des tourments incessamment remâchés.
Dans son malheur, chacun explore les ressorts des moyens de sa survie. La lucidité rend sa souffrance pathétique. Un jour, l’analyse ira plus loin, les conséquences seront alors plus graves, irréversibles. L’issue, inéluctable, est évoquée avec une grande sobriété. L’exploration dramatique repose entièrement sur la force du texte et de ses interprètes.
Les acteurs sont convaincants, efficaces, irréprochables. Le spectacle s’impose avec la même force inexorable que le drame qu’il raconte. Une représentation édifiante, on dirait presque éprouvante par sa thématique. ¶
Christophe Giolito
À toi pour toujours, ta Marie‑Lou, de Michel Tremblay
Léméac (Montréal), coll. « Théâtre canadien », 1971
Adaptation et mise en scène : Christian Bordeleau
Assistante à la mise en scène : Émilie Schnitzler
Avec : Yves Collignon, Cécile Magnet, Marie Mainchin, Sophie Parel
Décors : Bernard Dauxerre, Fabien Torrez, Xavier Chevillotte
Création lumière : Christian Mazubert
Photos : © Jules Pajot
À la folie Théâtre • 6, rue de la Folie‑Méricourt • 75011 Paris
Site du théâtre : http://www.folietheatre.com/
Réservations : 01 43 55 14 80
Du 10 mai au 1er juillet 2012 les jeudi, vendredi, samedi à 19 heures, le dimanche à 15 heures
Durée : 1 h 25
20 € | 15 €
Reprise
La Faïencerie • 74, Grande‑Rue • 38700 La Tronche
Mardi 31 janvier 2017 à 14 heures (scolaire) et à 20 h 30