De la danse enlevée à la mélancolie
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Absent pendant onze ans de la scène rennaise, Altan retrouve avec plaisir ses inconditionnels et séduit un nouveau public.
On n’avait pas vu Altan à Rennes depuis 2006. À l’époque, le mythique groupe irlandais s’était produit à la salle de la Cité, lieu légendaire dans la ville et bien au-delà, mais devenu vieillot pour ne pas dire obsolète. C’est en pleine lumière qu’on les retrouve aujourd’hui dans la prestigieuse salle Vilar du Théâtre national de Bretagne : jauge importante, remarquable confort, acoustique impeccable… Seul bémol pour certains : on ne peut pas y danser, tout juste se trémousser. Les musiciens n’en affichent pas moins une grande satisfaction.
Altan a été créé par la chanteuse Mairéad Ní Mhaonaigh (elle joue aussi du fiddle, violon traditionnel irlandais) et son mari, le flûtiste Frankie Kennedy, décédé en 1994. Le groupe comporte actuellement quatre musiciens que l’on peut qualifier de titulaires. Ce sont, outre la chanteuse et leader, Ciarán Curran (bouzouki), Ciarán Tourish (fiddle et tin whistle, flûte irlandaise métallique) et Mark Kelly (guitare). Il est complété pour cette tournée par Martin Tourish (accordéon à touches piano) et John Joe Kelly au bodhran (tambour sur cadre irlandais joué avec un petit bâton aux deux bouts arrondis).
Le répertoire d’Altan, chanté en gaélique et en anglais, puise essentiellement dans le patrimoine du Donegal et du nord de l’Irlande. Premier groupe de musique traditionnelle recruté par une major company (Sony, 1996), il arpente les scènes internationales avec le même succès depuis trente ans.
Le rouge a pâli
Le premier titre Maggie’s Pancakes / Píobaire an Chéide / The Friel Deal est emprunté au dernier album, The Widening Gyre (Altan, 2015), comme près de la moitié du répertoire joué ce soir. C’est une suite de reels, ces danses énergiques, souvent assez rapides, parmi les plus populaires des danses traditionnelles irlandaises. La suite The Tin Key / Sam Kelly’s / The Gravediggers du même album est faite de jigs (gigues). L’une et l’autre sont propres à mettre en valeur la virtuosité des interprètes. C’est particulièrement le cas ici pour Mairéad Ní Mhaonaigh qui, tout en marquant le rythme de son talon, fait chanter son violon de façon à couper le souffle. Ciarán Tourish ne le lui cède en rien, et c’est un régal de les voir se lancer dans un duo aux allures de joute. La suite Samhrad / Aniar Aduaidh / The Donegal Jig (ibidem) présente la particularité de commencer par un reel lent qui met en évidence la capacité des deux violons à briller aussi dans ce style où l’expressivité compte plus que la vélocité.
À côté de ces titres de danse, Altan interprète également, le contraire eut été étonnant, quelques-unes des fameuses ballades irlandaises, certaines venues d’albums plus anciens : Mali Dubh an Ghleanna (The Red Crow, 1990), Gleanntáin Ghlas’ Ghaoth Dobhair (Runaway Sunday, Sony,1997), Comb Your Hair and Curl It / Gweebarra Bridge (25th Anniversary Celebration, 2009),d’autres tirées du plus récent comme The Road Home ou Cuirt Robin Finley. Fraîches et légères ou plaintives et mélancoliques, plus ou moins rapides ou lentes, avec les inflexions et les ruptures propres à la musique irlandaise, ce sont elles qui permettent d’apprécier le mieux la voix de Mairéad Ní Mhaonaigh. Très à l’aise dans les médiums et les graves, elle passe aussi facilement dans les aigus de tête qui sont particulièrement agréables lorsqu’ils sont nimbés d’un léger écho.
Les ballades plaintives ont laissé goûter le talent de Martin Tourish à l’accordéon. L’une d’elles lui a d’ailleurs procuré un franc succès auprès du public. Le mixage d’un groupe n’est pas toujours propice à la mise en exergue du talent de chacun. C’était donc une excellente idée que de réserver une partie de ce concert à des solos. J’ai ainsi pu apprécier à leur juste valeur John Joe Kelly, époustouflant par sa célérité et sa capacité à varier les rythmes et l’intensité du son au bodhran. Et j’ai vraiment pris la mesure de Ciarán Curran, remarquable au bouzouki. Mark Kelly, auteur de nombreux arrangements et… de trop rares commentaires en français pleins d’humour, n’avait pas besoin de cela pour qu’éclate son mérite.
Le groupe avait ce soir pour invité Ronan Le Bars (uillean pipe, cornemuse irlandaise). Son instrument, au son si différent des cornemuses bretonnes ou écossaises, a apporté une couleur intéressante et originale à Roaring Water (The Blue Idol, 2002) et à The Gypsy Davy Song (The House Carpenter), ce traditionnel qui a transité par les Appalaches. Il a ensuite brillé en trio avec une suite bretonne.
Le concert se termine par une dernière danse rapide, qui voit le public se lever et faire un triomphe à Altan. Le groupe accordera deux rappels. Une chanson gaélique permet, une fois encore, d’admirer la voix de Mairéad Ní Mhaonaigh, presque a cappella puisqu’elle n’est discrètement soutenue que par Mark Kelly et Martin Tourish, avant que tout l’orchestre ne la rejoigne. On se quitte avec The Triple T. (The Widening Gyre), une pièce rapide introduite par Ciarán Tourish à la tin whistle et Ronan Le Bars qui se livrera ensuite à une joute avec le violon. Le public est absolument ravi même si pour beaucoup de spectateurs plus de commentaires en français ou dans un anglais moins véloce auraient été les bienvenus. ¶
Jean-François Picaut
Altan en concert
Avec : Mairéad Ní Mhaonaigh (chant et fiddle), Ciarán Curran (bouzouki), Ciarán Tourish (fiddle et tin whistle), Mark Kelly (guitare), Martin Tourish (accordéon à touches piano), John Joe Kelly au bodhran et Ronan Le Bars (uillean pipe)
Production : Naïade Productions
Photos : © Myriam Jegat
Théâtre national de Bretagne • salle Serreau • 1, rue Saint‑Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Mardi 31 janvier 2017 à 20 heures
Durée : 1 h 30
26,5 € | 17 € | 13 € | 11 €