Voulez-vous qu’on s’aime ?
A-t-elle digéré la colère, thème de son précédent spectacle ? Mathilde Roy arrive seule sur scène bardée d’épées de bois. Prête pour la bagarre. Son short satiné et ses chaussettes à bandes sèment le doute. Guerrière ou sportive sur-entraînée ? Les deux nécessitent de l’entraînement et une posture défensive. Le corps à corps, toutefois, ne sera pas celui imaginé.
L’artiste nous interpelle avec des panneaux cartonnés aux messages désarmants : « Bonjour ! Voulez-vous qu’on s’aime ? » « Comment on fait ? » « Attendons la fièvre. » C’est bien d’une invitation à l’amour dont il s’agit. Et du temps qu’il nécessite, prend, distord. État de félicité… et de souffrance : « Ça fait des mois que je pense à vous. » La circassienne vient nous parler en adresse directe – et c’est rare. Sans parole pour la plupart, les spectacles de Muchmuche privilégient le langage du corps. Le sien est un fil de fer, une ficelle dansante et contorsionniste qui mobilise immédiatement les nôtres. Hypnotisés.
Se contorsionner avec les mots
Le dispositif participatif, qui semble se plier aux aléas du sort, mime les jeux de l’amour et du hasard. Le public est en effet mis à contribution pour choisir des termes grecs qui vont décider du déroulé du spectacle. Sont ainsi évoqués PHILAUTIA, EROS ou encore STORGE. Et ce n’est pas nunuche ! Sont explorés les liens du sang, cet amour maternel qui fait enfler le ventre comme un ballon. L’utérus vide… et plus tard la chambre de l’enfant qui le sera également. Qui abandonne qui ? Il est aussi question de la PHILIA, ce terme qui désigne la solidarité, l’amitié et appelle les grands airs de la camaraderie. On le comprend vite : l’amour ne sera pas cadenassé à l’obsession du couple et de la passion dévorante.
De belles images surgissent à foison ! Tels ce baiser fougueux qui s’ensanglante, ce cul qui nous regarde, cette robe de mariage que la femme n’épouse pas, ou encore ce téléphone-flingue qui satisfait et dénonce nos égo trips. Ainsi, Mathilde métamorphose un sujet mille fois rebattu en matière à apparitions et disparitions magiques, à contorsions fabuleuses. Son usage éclairé du mentalisme, notamment, nous offre la notion de « parenthèse d’oubli », ce moment qui suit un effet réussi, durant lequel on peut être berné. En réalité, un flash d’éternité. Belle manière de parler de la fascination amoureuse comme de cet art de l’illusion dont elle use avec finesse.
Vient l’heure de la séparation
Il y a quelque chose d’artisanal, une sincérité désarmante dans ce dialogue avec le public, que contrecarre la présence monumentale des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes ou la patte musicale de Zerolex. Les plus beaux moments sont ceux où Mathilde se tient là, fragile, dans l’exploration de son sujet. Entre facétie et inquiétude.
Plongée dans la matière-amour, le spectacle figure bien la rencontre. Las, qui ne peut s’étirer en PRAGMA, l’amour qui dure. Sans didactisme, il nous évite les dangers de la MANIA, cet étouffement total et inconditionnel. Surtout, on s’aperçoit que la magie a opéré quand la circassienne évoque le moment où il est temps de se séparer. « Laissons-nous partir dignement. Soyons un peu tristes, sinon c’est rien. » Moment suspendu, larmes dans certains regards : autant de signes d’une traversée forte. Une puissante étreinte.
Stéphanie Ruffier
Amours, de Muchmuche Company
Site de la cie
Autrice et interprète : Mathilde Roy
Création et interprétation musicale : Zerolex
Conseil magique : Jules Metge
Regard extérieur : Valentina Santori
Regard magique : Yann Frish
Oeil chorégraphique : Louis Gillard
Regard dramaturgique : Sophie Borthwick :
Aide costumes : Valérie Alcantara :
Complice artistique : Paul Cretin-Sombardier
Durée : 1 heure
Dès 12 ans
Parking des grandes voiles • 76300 Sotteville-lès-Rouen
Gratuit
Plus d’infos ici
Dans le cadre du Festival Viva CIté / Atelier 231, 36e édition du 27 au 29 juin 2025
Tournée :
• Le 5 juillet, festival Les Fantaisies Populaires, à Cenne-Monestiès (11)
• Du 17 au 20 juillet, festival Chalon dans la rue, à Chalon-Sur-Saône (71)
• Du 24 au 26 juillet, festival Les Rencontres de Monthelon, à Montréal (89)
• Le 10 août, Festival Bell’arte, à Bellevue (85)
• Du 20 au 23 août, festival d’Aurillac (15)
• Le 11 septembre, Festival de rue ARTO, à Labège (31)
• Du 12 au 14 septembre, Festival de rue ARTO, à Ramonville (31)
• Du 3 au 5 octobre, Festival du Bitume et des Plumes, à Besançon (25)
• Le 15 octobre, Université de Toulouse (31)
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Photos : © Sileks Loic Nys
