À tout casser
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Alexander Vantournhout est un drôle d’oiseau. Le chantier qu’il présente aux Subsistances est un spectacle hybride, empruntant aux arts du cirque dont il maîtrise les acrobaties les plus élaborées, à la danse, avec ce qui ressemble fort à des séquences chorégraphiques. Et il le définit comme une performance. C’en est une.
Lorsqu’il parle de lui, c’est pour mettre en avant une difformité dont la conscience lui serait venue de façon anecdotique et qui serait devenue en quelque sorte son instrument de travail. Difformité, pour qui le voit, rien n’est si évident. Alexander Vantournhout est plutôt un beau mec, et la longueur il est vrai légèrement démesurée de son cou et des jambes un peu courtes n’existent que parce qu’il nous en parle. Goût de la perfection absolue, coquetterie, affectation ? Ce n’est pas sur ce terrain-là en tout cas qu’il nous aura troublés.
Même si de ce cou il use de façon à donner à voir un vautour, un héron… même si lorsqu’il rampe à la façon d’un lombric qui plie et déplie ses anneaux, on peut le croire dénué de colonne vertébrale… même s’il utilise ses jambes pour compléter le bestiaire qu’il offre à nos yeux et à notre imagination. Car ce qui est troublant, ce n’est pas tant l’évocation criante que la manière insistante et, pour le coup, pas du tout animale dont il nous fixe, une interrogation dans le regard comme s’il attendait quelque chose de nous.
Le goût vénéneux de la limite
Quoi qu’il en soit, c’est sans doute la performance elle-même qui impressionne le plus. Cet homme fait de son corps ce qu’il veut. Face à nous, un corps se tortille, se tend et se détend, adoptant des postures improbables, à la limite de l’équilibre, ployant ses articulations selon des angles invraisemblables. Un désossé, un contorsionniste, un acrobate qui semble obliger son corps à des mouvements, des torsions qui ne peuvent qu’induire de la douleur, qui flirtent avec la limite où ça pourrait craquer, casser.
Quand il entre en scène, vêtu de son costume noir et de sa chemise blanche, il transporte un clavier, des gants de boxe et des chaussures lestées à semelles compensées très hautes. Plus une collerette blanche. Le noir et le banc seront les seules couleurs de ce décor. Puis l’artiste se dégagera de cette gangue pour surgir complètement nu. Le crâne rasé renforce l’impression de nudité, et celle-ci rend plus prégnante la fragilité de ce corps contraint à des exercices à la limite du réalisable, du supportable – à la limite de l’humain ? Lorsqu’il va chausser ses grosses godasses lestées qui ajoutent la violence du bruit à celle des chutes qu’il enchaîne, qu’avec ses gants au bout des mains, il devient malhabile pour se retenir, se relever, comme s’il voulait se faire mal (et cela bien qu’il ne se cache pas de protéger telle ou telle partie exposée de son corps), la brutalité du traitement auquel il se soumet apparaît encore plus clairement. Et lorsque à ce moment, il vous agrémente son regard d’un sourire ironique qui semble s’adresser à chacun en particulier, un drôle de sentiment vous prend, comme un malaise.
Le spectacle auquel nous avons assisté était un « chantier ». Il ne manquait pas grand-chose à la prestation. Mais il manquait les transitions qui auraient transformé des numéros distincts les uns des autres en chorégraphie… ¶
Trina Mounier
Aneckxander, d’Alexander Vantournhout et Bauke Lievens
Avec : Alexander Vantournhout
http://alexandervantournhout.be/fr
Dramaturgie : Bauke Lievens
Regards extérieurs : Gérald Kurdian, Anneleen Keppens, Lore Missine, Geert Belpaeme, Lili M. Rampre
Costumes : Nefeli Myrtidi, Anne Vereecke
Technique lumière : Tim Oelbrandt
Photographies : Bart Grietens
Collaboration avec Bauke Lievens dans le cadre du projet de recherche Between being and imagining : towards a methodology for artistic research in contemporary circus, financé par KASK School of Arts, Gent (BE). Soutenu par CircusNext, dispositif d’accompagnement européen coordonné par Jeunes Talents Cirque Europe et soutenu par la Commission européenne
Production : NOT STANDING A.S.B.L.
Coproduction : les Subsistances – Lyon, Humorologie, Marke (BE), CircusNext
Accueil en résidence : les Subsistances – Lyon, Vooruit (BE), Centro cultural Vila Flor (PT), C.C. De Warande (BE), Circuscentrum (BE), Humorologie (BE), les Migrateurs (FR), Subtopia (SE), De Spil – Roeselare (BE), la Brèche – Cherbourg (FR)
Avec l’aide de la Communauté flamande, la province de Flandre-Occidentale, CircusNext
Aide à la création et accueil en résidence : M.J.C. Villeurbanne
Durée : 55 min
Les mercredi 17 juin 2015 à 19 h 30 et le jeudi 18 à 20 heures
Les Subsistances • 8 bis, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon
Dans le cadre du festival Livraisons d’été
Tél. 04 78 30 37 72
Tournée :
- 27 et 28 juin 2015, Perpix, Marke (BE)
- Du 18 au 21 juillet 2015, Mia Miro – Gentse Feesten, Gent (BE)
- Du 4 au 9 août 2015, Theater aan zee, Ostende (BE)
- Le 26 septembre 2015, le Vivat à Armentières (FR)
- Les 2 et 3 octobre 2015, De Spil, Roeselare (BE)
- Le 10 octobre 2015, Vertigo, Torino (IT)
- Les 1er et 2 novembre 2015, Dommelhof, Neerpelt (BE)
- Le 4 janvier 2016, Vooruit, Gent (BE)
- Le 28 janvier 2016, C.C. Bornem (BE)
- Le 4 février 2016, De Warande, Turnhout (BE)
- Le 5 mars 2016, De Grote Post, Ostende (BE)
- Le 17 mars 2016, la Brèche, Cherbourg (FR)
- Le 14 avril 2016 C.C. Evergem ism Vooruit, Gent (BE)
- Les 1er, 2 et 3 avril 2016, les Subsistances, Lyon (FR)
Options :
- Du 19 au 21 janvier 2016, London Mime Festival (BE)
- Migrateurs, Strasbourg
- Hautes Tensions, Paris
Une réponse
J’ai vu Aneckxander et je n’ai pas compris cette sorte de masochisme du performeur: il est plutôt beau et il s’enlaidit, il fait des acrobaties magnifiques et il se les rend difficiles voire douloureuses, il fait semblant de souffrir mais on n’y croit pas (cf. le Paradoxe sur le comédien), etc. Bref, spectacle beau et insolite, que la nudité du performeur rend à la fois dérangeant et attachant, mais qui laisse un goût d’inachevé: voulu?