Une artiste sensible et généreuse
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Pour le concert final de la première journée au festival Saveurs Jazz à Segré (Maine-et-Loire), le programmateur, Nicolas Folmer, a fait appel à une artiste qui évolue aux limites du jazz, Ayo. La chanteuse germano-nigériane a remporté un vrai succès populaire.
Saveurs Jazz à Segré, est l’un des festivals du réseau SPEDIDAM (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes). Son directeur artistique, Nicolas Folmer est très attaché à ce genre de festivals ancrés dans un territoire. Il tient aussi à l’éclectisme de la programmation, et c’est sans doute ce qui explique la présence, ce soir à Segré, de Joy Olasunmibo Ogunmakin, plus connue sous son nom de scène, Ayo.
J’ai rencontré Ayo (grand prix du Répertoire S.A.C.E.M. à l’export, 2014) en 2011. Le personnage ne m’avait guère séduit. Peut-être était-il fabriqué par la production ?
Un sourire désarmant
On entend en premier lieu l’artiste en coulisses, avant que sa silhouette élancée n’apparaisse en scène. Sa guitare sèche en bandoulière, elle arbore une tenue très sobre : jupe noire droite au-dessus des genoux, tee-shirt vieux rose orné d’un énorme collier, une parure plutôt, de cauris. Accompagnée de son seul bassiste Sherrod Barnes, elle interprète d’abord I’m Walking (Ticket to the World, Motown France, 2013). C’est une ballade intimiste qu’Ayo interprète d’une voix chaude, un peu gâchée malheureusement par un excès de réverbération quand elle chante les lèvres pratiquement collées au micro.
Elle enchaîne avec Sometimes qui permet au claviériste Ondrej Pivec de faire son entrée. Ces deux ballades sensibles seront suivies de beaucoup d’autres de la même eau, issues du même album et interprétées en anglais.
Avec Love and Hate, Ayo inaugure un procédé qu’elle va reprendre très souvent : elle improvise la fin de la chanson en français dans une sorte de parlé-chanté. And It’s Supposed to Be Love, une pièce plus rythmée et chaloupée, lui permet de solliciter la collaboration du public, procédé qu’elle reprendra dès lors systématiquement, et le public ne se fera pas prier. C’est l’occasion d’un des rares vrais solos instrumentaux de ce concert, il est signé d’Ondrej Pivdec à l’orgue Hammond B3. L’excellent Sherrod Barnes, qui joue également de la guitare, n’aura pas la chance de développer aussi largement ses initiatives.
La plus longue intervention en français, que la chanteuse parle désormais quasi couramment, porte sur les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, sorte de glose sur le 14-Juillet. Elle y exalte la musique comme antidote à la peur et comme force d’amour, de communion universelle, au-delà du jugement, dans le partage de l’émotion. Cette ballade inaugure une autre figure reprise au cours du concert, le mélange de chant mélodieux et de rap. En effet, si Ayo ne danse plus, le « ventilateur » d’autrefois oublié, elle parle, dialogue beaucoup avec le public, et, quand elle craint d’avoir abusé, elle lui dédie l’un de ses sourires désarmants dont elle a le secret.
À côté de nombreuses pièces lentes, le concert comporte aussi quelques titres plus rythmés comme Fire. La chanteuse s’y libère un peu en de trop rares passages empreints de soul. Quant au batteur, Michael Désir, il y justifie amplement sa place.
On s’achemine ainsi, après un hommage à Bob Marley, vers la fin de ce concert bon enfant qui m’a révélé une autre artiste. Ayo descend dans la salle pour une très longue promenade chantée et de nombreux contacts avec les spectateurs. Le public ravi la salue par une ovation debout. ¶
Jean-François Picaut
Ayo
Saveurs Jazz Festival, à Segré (Maine-et-Loire), 6e édition
Du 15 au 19 juillet 2015
Photo d’Ayo : © Jean-François Picaut