Le corps à l’ouvrage !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Pour sa 5e édition, du 11 novembre au 16 décembre, la Biennale des Arts du Mime et du Geste (BAMG) voit encore une fois les choses en grand : 22 spectacles, 58 représentations, quatre évènements une porte ouverte d’un lieu de formation à Montreuil (l’EIMCD), 12 stages pratiques, des masterclass. Quelle vitalité !
Formidable occasion de découvrir le dynamisme actuel des arts du mime et du geste, cette biennale regroupe les formes artistiques qui s’appuient sur une dramaturgie corporelle. Elle rassemble toutes les générations et des compagnies issues d’horizons variés.
Quoi de commun, en effet, entre la pantomime beckettienne Deux rien, de la cie Comme Si, les poses des danseurs de Joanne Leighton (cie Wildn), ou encore les mains virtuoses d’Élise Vigneron (Théâtre de l’Entrouvert), qui donne vie à de saisissantes marionnettes de glace à taille humaine : la recherche, dans le mouvement, d’un langage théâtral différent.
Populaire et poétique, les arts du geste et du mime parlent à tous, comme le ferait un théâtre sans frontières. Cette année, des compagnies venant de France, Belgique, Espagne, Allemagne, Brésil, République Tchèque explorent les vastes territoires de l’imaginaire, des formes artistiques passionnantes qui n’exclut pas pour autant les mots.
Cette biennale est le résultat du travail du collectif des arts du geste et du mime, constitué sous la forme d’une association. Depuis 2012, elle regroupe compagnies, artistes et enseignants dans le but de donner une plus grande visibilité et reconnaissance institutionnelle à ce théâtre élaboré à travers les corps en mouvement.
Relevons la variété des partenaires (théâtres, centres culturels, scènes nationales, scènes conventionnées, universités), dont une majorité en banlieue ou régions (29 villes), avec certains lieux très engagés dans ce secteur : le Théâtre Victor Hugo, scène des arts du geste (TVH) de Bagneux (92), L’Odyssée, scène conventionnée de Périgueux (24), La Maison des Gestes de Montpellier.
Et que la fête commence !
Comme chaque année, La Nuit du Geste va justement lancer la manifestation au TVH. Une cinquantaine de compagnies sont programmées pour une nuit entière de performances. Plusieurs plateaux se succèderont, dont un international, et un, dédié aux jeunes compagnies. C’est aussi une scène ouverte, avec des ateliers, et des surprises partout dans le théâtre, dedans et dehors, avec une fin de nuit sur le dance floor. Et toujours le petit déjeuner offert avant de repartir aux aurores. Nous ne manquerons pas cet événement.
Cette saison compte un nouveau temps fort : une soirée hommage à l’École Marceau, à l’occasion des 100 ans de la naissance du maître. Des spectacles seront créés par des artistes qui témoignent de la diversité des styles et des démarches issues des enseignements dispensés au sein de l’école. Fermée en 2005, cette dernière a été pendant 27 ans le point de départ, d’apprentissage, d’enseignement de nombreux membres du collectif fondateur de la BAMG. Une soirée rythmée par des formes courtes et de précieux témoignages.
Notre sélection
Dans ce vaste panorama, plusieurs compagnies attirent notre attention, à commencer par l’incontournable Théâtre du Mouvement, avec Yves Marc qui interroge, sur le mode d’une conférence-spectacle, notre état, à nous spectateurs (Public : mode d’emploi ?), et Claire Heggen toujours aussi impliquée dans la transmission, comme Jean-Claude Cotillard, autre grand représentant de ces arts (il a créé la première promotion « arts du mime et du geste » en 2011 à l’ESAD ; il a aussi enseigné, entre autres, au CNSAD PSL ou au CNAC).
Des compagnies historiques à la nouvelle génération, il y a tout un monde : Benoît Turjman campe un Voisin, personnage maladroit vraiment à côté de la plaque, mais tellement attachant. Lauréat 2018 du Fonds SACD Humour / One Man Show, ce comédien au parcours complet (mime, comédien, danseur un peu spécial, ex-cascadeur) est auréolé de prix et on comprend pourquoi.
Du côté des clowns, on se laissera volontiers embarquer par la cie Inex, inspirée par Charlie Chaplin et le Petit Prince. S’inquiétant que rêves et espoirs soient aujourd’hui éteints, Dans le monde d’après mêle métaphysique et premier degré. Et rallume la lumière !
Entre jour et nuit, Un jour tout s’illuminera est aussi une descente au cœur d’une humanité à la dérive, à travers l’histoire vraie de deux femmes accusées d’homicide, dans un tout autre style, très original qui fricote avec le cinéma et la BD, un fascinant décalage entre le merveilleux et le tragique (lire la critique de Florence Douroux). Pour la cie Troisième génération, le mime est un art qui à la fois « fédère, énerve et passionne ». C’est pourquoi, elle « se détache volontairement d’une esthétique spécifique du mime pour utiliser la richesse de celui-ci en tant que simple technique de jeu, presque à la manière d’un révélateur photographique, qui permettrait de rendre visible ce qui peut échapper à l’œil dans la vie ». Une démarche saluée par des prix, dès le premier spectacle, en 2011.
En chair et en os
Au contraire, plus un mot dans les spectacles de la cie Still Life, une des figures emblématiques du théâtre visuel en Belgique. Flesh met en jeu, dans des récits brefs et sans paroles, la question du contact charnel. Ou plutôt de son absence ! D’une fête d’anniversaire de mariage à une chambre d’hôpital, d’une expérience de réalité virtuelle à une réunion de famille dans un café, la pièce évoque, avec humour et tendresse, la nécessité de se frotter les uns aux autres. Un spectacle créé en temps de confinement et programmé au Festival d’Avignon 2022.
Quant à la cie Mangano Massip, inspirée des personnages d’Eurydice et d’Orphée, elle suit une jeune femme morte dans un accident qui erre entre les lieux de sa vie. Le langage chorégraphique se fonde sur l’idée de doubles et d’ombres pour représenter la trace du passé dans le présent. En duo depuis 25 ans, Sara Mangano et Pierre-Yves Massip se sont justement rencontrés à l’École Marcel Marceau. Très attachés à la transmission de leur art, ils ont fait tourner leurs spectacles dans le monde entier.
© Olga Bientz
les larmes d’Eurydice »
© cie Mangano Massip
« Wakan, la terre dévorée »
© cie Le Corps sauvage
Le Corps sauvage porte bien son nom : puiser dans les mythes et les quatre éléments pour représenter les enjeux auxquels l’homme est confronté, Gilles Coullet déploie une poésie universelle où s’enchevêtrent toutes sortes de créatures : Wakan, la terre dévorée est une ode à la vie et au respect de tous les êtres qui la composent, un hymne jalonné par les paroles du chef amérindien Seattle.
Un autre bijou à ne pas rater : Pendant que tu volais, je créais des racines, de la cie Dos à deux, qui mêle techniques cinématographiques et arts numériques, à la danse et au théâtre. Un chef-d’oeuvre. Une expérience sensorielle unique, très forte (lire notre critique).
Les thématiques sont riches de sens. Qu’on bascule de l’hyper-réalisme à un onirisme sans retenue, les esthétiques sont elles aussi variées. Tragédies du quotidien, témoignages vibrants de sincérité, récits engagés, échappées burlesques, plongées vertigineuses dans un espace-temps autre… Ces formes hybrides nous parlent car elles articulent intime, histoire et politique. Indubitablement, ces pulsions de vie incitent à ressentir différemment le monde, mais à continuer de croire en la force des liens. 🔴
Léna Martinelli
Biennale des Arts du Mime et du Geste
Du 11 novembre au 16 décembre 2023
Site
Agenda
La Nuit du Geste, le 11 novembre, de 20 heures à l’aube
Théâtre Victor Hugo • 14, avenue Victor Hugo • 92220 Bagneux
Navettes : aller entre Porte d’Orléans et le TVH : départ de la Porte d’Orléans à 19 heures, 19 h 30, 20 heures et 20 h 30 ; retour par le 1er métro à Porte d’Orléans
Tarifs : 13 €
Réservations : 07 85 90 38 65 ou par mail ou en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ La Nuit du Geste 2021, par Léna Martinelli
Photos :
• Une : « Flesh », cie Still Life © Hubert Amiel
• Mosaïque : « Les Vagues », d’Élise Vigneron © Théâtre de l’Entrouvert ; « Deux rien » © cie Comme si ; « People United », Joanne Leighton © Laurent Philippe