Biennale Internationale des Arts du Cirque, Reportage 5e édition, PACA

Village-Chapiteau-BIAC © Jeremy-Paulin

Quel cirque !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Avec plus de 70 spectacles, sous chapiteau, en extérieur, au plateau, petites ou grandes formes, en provenance de France et d’ailleurs, la région sud a bien vibré. Du 12 janvier au 12 février, la 5e édition de la BIAC était foisonnante. Reflet de la diversité créative du cirque actuel, son répertoire en dit beaucoup sur notre époque et son chaos. « Fractales » (cie Libertivore), « Take care of yourself » (cie Moost) et « Low Cost Paradise » (Cirque Pardi !) l’illustrent.

Entre le week-end d’ouverture (« Quel Cirque ! ») et celui de clôture (« Au bout, la mer : Cirque ! »),la cité phocéenne était vraiment animée. Accessible, populaire, exaltant, passionnant, le cirque a de multiples atouts dont la métropole peut mesurer les retombées : dynamisme culturel, lien social, attractivité touristique, rayonnement…

Le temps de quelques jours, nous avons pu mesurer la qualité de certaines propositions et de l’organisation, fondée sur la mutualisation des moyens, puisque la programmation est partagée avec une cinquantaine de structures culturelles à Marseille et sur tout le territoire régional. D’ailleurs, nous en avons profité pour découvrir un festival plus modeste, mais à la notoriété croissante : Les Élancées. Sa 25édition nous a séduite (lire notre reportage ici).

Focus

À Marseille, les deux spectacles choisis se déroulaient à La Criée, lieu incontournable de la ville. L’occasion de croiser Fanny Soriano, à l’honneur pour cette édition, et Marc Oosterhoff, un des artistes de la scène contemporaine helvète présenté dans le cadre du focus Suisse.

La nature est au cœur des spectacles de la compagnie Libertivore qui invente un langage singulier, entre cirque (Pour Fractales, acro-danse, portés acrobatiques, aérien sur tissu et souche) et chorégraphie, où l’Homme se révèle dans son rapport au vivant : « Les structures fractales se retrouvent dans de multiples domaines (nature, sciences humaines, art, astronomie, à l’image d’une branche de fougère, d’un chou romanesco…) », explique Fanny Soriano. « Elles nous aident à mieux comprendre les changements du monde et de nous-mêmes. Elles nous rassemblent dans des mouvements parallèles qui, parfois, se font face, s’entrechoquent. Deux entités au cycle singulier, qui partagent un même espace, un même temps ».

En réaction à certaines perspectives (fin annoncée d’un système économique, écologique, politique, etc.), l’autrice poursuit sa recherche autour de l’homme et la nature, en s’inspirant cette fois de d’observation du vivant face à l’inconstance d’un paysage en transformation. La scénographie, un cercle recouvert de lentilles corail, de petits bouts de liège et de grands pans de tissus, traduit l’expérience d’évolution cyclique, où tout chaos est suivi d’un renouveau, où l’effondrement engendre une renaissance : « Si la fin paralyse, le changement est créatif, fécond », commente Fanny Soriano, d’un optimisme convaincu.

Au sein de cet univers circulaire, une terre en constante mutation, les cinq individus rayonnent. Entre portés et acrobaties aériennes, ils accompagnent la lente métamorphose de l’environnement dont ils font partie intégrante. Tour à tour corps-objets ou corps-agissant, ils se confrontent à la matière organique, l’esquivent, s’y heurtent ou s’y fondent, des branches aux racines. En épousant cet espace sans cesse renouvelé, les corps déploient des gestes harmonieux ou imprévisibles, ponctués d’une inquiétante étrangeté. Quelle grâce ! Les interprètes sont excellents et la mise en scène particulièrement inspirée, en plus d’être délicate.

Sur une composition originale de Gregory Cosenza, les mouvements des corps sont amples, bien qu’au plus près des éléments. Hypnotique, puissant, avec des séquences de toute beauté, ce magnifique spectacle laisse s’exprimer des émotions paradoxales, peur, colère, joie, et provoque moult sensations. Nous sortons de là reconnectés à notre environnement et à nous-mêmes.

© Alex Brenner

Changeons d’univers avec Marc Oosterhoff, un artiste singulier qui aime se confronter au danger, dans une soumission volontaire, puisque c’est lui qui dicte ses règles. Il présente des actions périlleuses, entreprises de son propre chef, mais à l’issue hasardeuse. Solo basé sur le risque, Take care of yourself, explore les limites en détournant des numéros traditionnels. Ses ratés déclenchent un jeu à boire, en parallèle de lancers de couteaux, saltos arrière et autres improbables défis.

Évoluant en terrain miné (la scène est notamment parsemée de pièges à souris), l’homme est sous haute tension, mais fait preuve d’une résistance à toute épreuve. Son comportement déclenche un rire irrépressible. Pourtant, il est question ici des normes sécuritaires qui balisent notre quotidien. Faisant appel à notre capacité de discernement, Marc Oosterhoff incite à prendre soin de nous, à réapproprier notre corps afin de retrouver la liberté. Un bien trop précieux pour être laissé aux mains du hasard ! Auréolé de plusieurs récompenses, dont le Prix du jury junior du Festival Momix 2020, ce spectacle a été très apprécié du public marseillais.

Le Village Chapiteaux, cœur battant de la biennale

Impossible de ne pas faire un petit tour au centre névralgique de la BIAC, là sont regroupés les chapiteaux emblématiques de la Biennale. L’occasion d’assister à une « grande forme ». Low Cost Paradise revisite aussi les codes du cirque traditionnel. La piste circulaire accueille un orchestre déjanté, les grandes figures du cirque sont méconnaissables et les numéros surprennent par leur confusion. Hymne à la fragilité, le Cirque Pardi ! propose un spectacle de cirque très contemporain. Presque punk !

Traversé de bruit et de fureur, le chapiteau tremble de toutes parts, avec des musiciens à cran sur leurs instruments. Tandis que le clown, presque inquiétant, s’invite dans les numéros, qu’il cherche sa place, un dresseur de chapkas remplace le dompteur de lions et les acrobates semblent sortis tout droit d’un cabaret. Entre Pedro Almodovar, David Lynch et Wim Wenders, les références au cinéma abondent.

D’ailleurs, dans un tournage qui n’en finirait pas – le paradis des oubliés – les artistes passent de l’ombre à la lumière. Malgré le chaos, ils forgent un éden chaleureux où se retrouver, entre amis ou en famille. Dépassant les obstacles et les limites, réclamant justice, ils se racontent des histoires, transcendent leur existence et bricolent de la beauté, leur raison de vivre. De la fiction au réel, les personnages n’oublient jamais qu’ils sont les metteurs en scène de leur propre existence. Trapèze, danse, vélo acrobatique, funambulisme, portés acrobatiques, clown et jonglage s’ébrouent aussi dans un univers théâtral. Une création collective détonante qui réveille notre besoin de rêv(olution). 🔴

Léna Martinelli


Biennale Internationale des Arts du Cirque

5e édition, du 12 janvier au 12 février
Site Internet
Région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur

Fractales, cie Libertivore

Site de la compagnie
Écriture, chorégraphie : Fanny Soriano
Avec : Kamma Rosenbeck, Nina Harper, Voleak Ung, Léo Manipoud et Vincent Brière
Scénographie : Oriane Bajard et Fanny Soriano
Lumière : Cyril Leclerc
Musique : Gregory Cosenza
Costumes : Sandrine Rozier
Collaboration chorégraphique : Mathilde Monfreux
Régie générale : Nancy Drolet
Régie plateau : Lorenzo Graouer
Dès 8 ans
Durée : 1 heure
Théâtre de la Criée • Théâtre national de Marseille
Du 3 au 5 février 2023
De 9 € à 25 €
Tournée ici

Take care of yourself, cie Moost

Site de la compagnie
De et avec : Marc Oosterhoff
Regards extérieurs : Lionel Baier, Eugénie Rebetez
Création lumière : Marc Oosterhoff
Technique : Leo Garcia, Filipe Pascoal
Avec le centre culturel suisse, On Tour, et le soutien de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia
Dès 8 ans
Durée : 30 min
Théâtre de la Criée • Théâtre national de Marseille
Du 3 au 5 février 2023
De 6 € à 13 €
Tournée ici

Low Cost Paradise, Cirque Pardi !

Site de la compagnie
Avec : Carola Aramburu (trapèze ballant, musique, danse), Elske Van Gelder (portés acrobatiques), Julien Mandier (magie nouvelle, manipulation d’objets, vélo acrobatique), Maël Tebibi (acrobatie, comédie), Marta Torrents (clown, voltige), Eva Ordoñez (trapèze fixe), Timothé Loustalot Gares (funambulisme)
Regard extérieur : Garniouze
Musique : Antoine Bocquet
Aide à la scénographie et costumes : Julia Di Blasi
Création lumière, technique : Timothé Loustalot Gares
Équilibrisme, construction, machinerie : Maël Tortel ou Hardy Elouan
Technique, construction : Janssens Rillh
Régie générale : Lison Wanegue
Administration de production et de tournée Malika Louadoudi
Production Zoé Gaudin-Hubert et Tanina Bolze-Cherifi
Tout public
Durée : 1 h 30
Chapiteau Cirque Pardi • Plages du Prado • Village chapiteau de Marseille
Du 3 au 11 février 2023
De 3 € à 22 €
Tournée ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
BIAC 2023, article de Léna Martinelli
BIAC 2017, reportage de Léna Martinelli
Les Élancées, 25e Festival des arts du geste, BIAC, par Léna Martinelli

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant