« Théâtre, mon beau théâtre… »
Par Louise Pierga
Les Trois Coups
Inspiré du célèbre conte des frères Grimm, Angelin Preljocaj nous offre ici une réécriture chorégraphiée de l’histoire de Blanche‑Neige. Avec les danseurs du centre chorégraphique national d’Aix-en‑Provence, il entreprend un ballet qu’il s’attache à qualifier de « contemporain et romantique ».
Comment, avec un regard ingénu, peut-on dire si un spectacle de danse contemporaine est réussi ou non ? C’est bien simple : le spectacle est réussi quand on est bercé par les mouvements des corps en trouvant cela naturel et sensé. Eh bien, c’est l’effet produit dans Blanche‑Neige ! On est emporté par ce ballet, nos cœurs battent au rythme de ceux des danseurs, et l’on en sort aussi remué qu’eux.
Les rideaux s’ouvrent sur un filet de lumière dans lequel évolue lentement une femme enceinte, tableau rythmé par un fond sonore de battements de cœur. La traversée de la scène se termine par la naissance de Blanche‑Neige. S’ensuit une évocation en accéléré de son enfance heureuse, se concluant par un grand ballet baroque où se mêlent danse contemporaine et esquisses classiques. Le bal est interrompu par la reine et ses deux chats… Cette intervention donne en réalité tout son sens au merveilleux de la scène : la reine ensorcelle danseurs et spectateurs, son costume (signé Jean‑Paul Gaultier) la rend sublime, le jeu de ses deux chats-humains est incroyablement surprenant.
Le symbole du miroir est mis en scène avec brio par un jeu de transparence et de lumière, qui donne à voir un miroir de 4 m de haut sur 3 m de large, où la reine se reflète dans les yeux d’une reine plus jeune, en quête d’éternelle séduction. Impressionnant, et encore une fois un pari réussi sur le merveilleux du spectacle !
D’un point de vue scénique, il n’y a aucune fausse note, et même si la reine nous magnétise, le reste des danseurs n’en n’est pas moins admirable, et chaque personnage existe pleinement. Seuls quelques détails techniques nous agacent, tout simplement parce qu’ils nous déconnectent du rêve mouvementé dans lequel nous sommes plongés. Je pense en effet aux nombreux bruits dans les coulisses générés par les décors qui parasitent les danseurs. Ou encore à la seconde intervention de la mère descendue du ciel pour chuchoter quelques mots à sa fille : elle est attachée à un câble dont le mécanisme complexe et bruyant est plus retenu que le passage même de la mère.
Autre détail titillant, le costume de Blanche‑Neige, mal porté ou mal conçu, ressemble davantage à une couche qu’à une robe séduisante. Et l’on sent qu’il ne met pas à l’aise la danseuse. Du coup, on s’attache plus à ce costume énigmatique qu’à la performance de celle‑ci.
Le mariage de Blanche‑Neige et du prince est également un tantinet décevant, et ressemble plus à un final de défilé de mode baigné de paillettes avec son florilège de costumes flamboyants. Heureusement, la reine le conclut par une danse mystique de brûlée vive qui tend à ce que cherchait Preljocaj : « la transcendance des corps. » ¶
Louise Pierga
Blanche‑Neige, d’Angelin Preljocaj
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Avec : Nagisa Shirai, Sergio Diaz, Céline Galli, Craig Dawson, Gaëlle Chappaz, Ayo Jackson, Émilie Lalande, Natacha Grimaud, Lorena O’neill, Isabelle Arnaud, Neal Besley, Virginie Caussi, Hervé Chaussard, Damien Chevron, Baptiste Coissieu, David Di Pretoro, Sébastien Durand, Caroline Finn, Alexandre Galopin, Yann Giraldou, Emma Gustaffsson, Céline Marié, Bruno Péré, Zaratiana Randrianantenaina, Julien Thibault et Julie Brassecassé
Musique : Gustav Mahler
Musique additionnelle : 79D
Costumes : Jean‑Paul Gaultier
Décors : Thierry Leproust
Lumières : Patrick Riou, assisté de Cécile Giovansili et Sébastien Dué
Photos : © J.‑C. Carbonne
Les Gémeaux • 49, avenue Georges‑Clémenceau • 92330 Sceaux
Réservations : 01 46 60 05 64
Du 11 au 14 décembre 2008 à 20 h 45, dimanche à 17 heures
Durée : 1 h 50
31 € | 27 €
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