Goya contre Disneyland
Par Annabelle Verhaeghe
Les Trois Coups
À la Manufacture, durant le Off, se joue « Borges vs Goya », de Rodrigo García. Mises en scène par Arnaud Troalic, les deux pièces ne font plus qu’une, prises dans la masse d’énergie et le besoin de dire des deux protagonistes. Le premier nous annonce la couleur : « Je préfère que ce soit Goya qui m’empêche de fermer l’œil plutôt que n’importe quel enfoiré ». Mais il va lui falloir lutter pour que Goya triomphe.
Arnaud Troalic et Julien Flament nous montrent les travers de notre société à travers l’histoire de leur personnage et l’urgence à nous la raconter. Ceux-ci, malgré tous les obstacles, continuent à espérer : espérer voir Goya de nuit avec ses enfants, un philosophe à la mode et un sac de coke, ou bien espérer discuter avec Borges – puis « lui flanquer une bonne raclée ». J’ai retrouvé, dans cette mise en scène, l’esprit des textes de Rodrigo García et cette force de jeu qu’ils présupposent.
Les personnages sont tout d’abord séparés par la scénographie et la lumière. L’un trône dans sa voiture, l’autre dans son Clic-Clac, le mur derrière lui recouvert de matelas, semblant d’hôpital psychiatrique. Tous les deux sont sur leur carré d’herbe. L’Espagnol vautré dans son canapé commence à parler puis déclenche, avec sa télécommande aux allures de détonateur, les sous-titres en français. La volubilité, le phrasé et le charme ultra-vitaminé de cet acteur m’attirent. Les sous-titres me permettent de poser mon regard avant de le rediriger sur l’Espagnol, qui ne tient pas en place. Puis, c’est au tour du Français. Il a lui aussi un déclencheur, qui lui permet de faire passer des vidéos, du son ou de faire ressortir une de ses phrases, en espagnol, sur le mur du fond. Il se sert également d’un micro. Et sa façon de l’utiliser le fait ressembler à une sorte de sale gamin mal peigné.
De fait, les personnages sont à la fois énervants et attirants. Les vidéos doublent l’ironie du texte en jouant par contrastes, mais elles encombrent aussi le regard. Ça ne m’est pas facile de jongler entre les acteurs, la vidéo et le texte, surtout s’il est sous-titré, car les acteurs sont dans une dynamique très forte. Mais tout se tient.
Les textes vont par la suite s’entrecroiser, et je ressens un petit bonheur à voir les deux personnages comme faisant partie de la même famille. Ils se mettent à transformer le lieu pour réaliser leurs désirs et « partent à l’aventure » sous mes yeux. Je suis avec eux, peut-être vont-ils réussir. Mais ils utilisent bientôt tout un tas de trucs, gadgets et facéties qui me font décrocher par instants, car je m’identifie moins à eux. Ils ont soudain l’air d’avoir ingurgité une trop haute dose de libéralisme et je suis un peu ahurie.
Enfin, leur périple s’achève d’une manière elliptique et assez sereine, qui me permet de finir en même temps qu’eux mon voyage dans le monde moderne. Je ne suis plus trop sûre de vouloir y vivre, mais il m’attire tout de même, à l’image de cette pièce. ¶
Annabelle Verhaeghe
Borges vs Goya, de Rodrigo García
Cie Akté
Mise en scène : Arnaud Troalic
Avec : Arnaud Troalic, Julien Flament
Collaboration artistique : Anne‑Sophie Pauchet
Dramaturgie : Florence Gamblin
Création bande-son : Étienne Cuppens
Création lumière : Philippe Ferbourg
Régie : Grégoire Lerat
Construction : Joël Cornet, Évelyne Villaime
Photo : © Roger Legrand
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 12 71
Du 7 au 27 juillet 2008 à 15 heures, relâche le 21
Durée : 1 h 15
15 € | 11 €