« J’essaie de courir plus vite que la mort. »
Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups
Comédien, chanteur, écrivain, metteur en scène de théâtre et d’opéra, directeur du Festival d’Avignon depuis septembre 2013, Olivier Py inscrit le théâtre au cœur de la cité.
Quelle étrange énergie vous anime ! Après quoi courez-vous ?
Quand j’avais vingt ans, j’étais convaincu, comme beaucoup de ma génération, que nous serions tous morts avant d’avoir trente ans, à cause du sida. Alors j’ai pris l’habitude de contracter une vie en une journée. J’essaie de courir plus vite que la mort. Je ne suis pas hyperactif pour autant : je tâche de finir ce que j’entreprends. J’aime le dépassement de soi. Je me suis donné comme règle de vie de ne me refuser aucun destin. Adolescent, je voulais être danseur, philosophe, moine, homme de théâtre, et aussi chanter en travesti. J’y suis parvenu, et je ne me suis pas ennuyé.
Quelle part de moine demeure en vous ?
Elle est secrète mais elle est exacte. Ma vie reste tournée vers les questions et la lumière, loin du confort bourgeois. Au cœur de ce tourbillon, il y a un cloître où je trouve, dans le brouhaha, dans l’occupation, les quelques minutes nécessaires pour abreuver mon esprit ou mon âme.
Quand trouvez-vous le temps d’écrire 1 ?
Quand on dit qu’on n’a pas le temps, c’est toujours un mensonge. Depuis quelques années, j’écris vingt minutes par jour. C’est plus difficile pour le théâtre, car il faut tenir la cohérence de la pièce avant de l’écrire et lever la charge spirituelle d’un coup. Cela tient plus de l’haltérophilie que du marathon, à la différence du roman.
Votre pièce, Orlando ou l’Impatience, créée à Avignon en juillet 2014, triomphe actuellement en tournée 2. La pièce porte sur la recherche de l’origine en proposant une définition du théâtre…
J’ai un côté xixe siècle : je suis systémique. Tout mon système de pensée y passe. Comme la pièce est sous-titrée « comédie », cela permet de rire de ma grandiloquence, de mes exagérations métaphysiques, de mes digressions intellectuelles, etc. Le jeu des acteurs, excellents, met une distance avec le sérieux de mon écriture. D’où un effet comique avec des choses qui ne sont pas en soi particulièrement drôles.
Pourquoi dites-vous qu’Avignon est votre « destin » ? Le chemin y est pour le moins semé d’embûches…
Ma vie théâtrale a commencé à Avignon. C’est là que je suis monté pour la première fois professionnellement sur un plateau, à vingt ans, dans l’Écume des jours, lors du Off de 1985. Sans la Servante, dix ans plus tard, toujours à Avignon, je ne sais pas ce que je serais devenu. Cette pièce m’a sauvé de tout, y compris de moi-même. Vous parlez d’embûches, certes. Mais il y a eu aussi des moments de joie incroyables. Et cette année, j’y fêterai mes cinquante ans.
Vous dirigez le festival en artiste…
Je ne suis ni un gestionnaire ni un administrateur, mais un directeur de théâtre. La partie technique n’est pas ce qui importe le plus. C’est pourquoi je ressens ma présence à Avignon comme un destin et non comme une étape de plan de carrière. C’est toute la différence 3.
Le déficit budgétaire de 2014, dû aux annulations pour cause de grève ou d’intempéries, vous oblige en 2015 à réduire la durée du festival de deux jours et à renoncer à certains lieux tels que la carrière Boulbon 4…
J’espère que l’on retrouvera ce site dans les années à venir. Mais il faut un projet qui lui corresponde, sinon ça peut être un désastre. C’est l’une des difficultés d’Avignon : les lieux sont atypiques, tant dans leur architecture que dans leur héritage mythique. Il faut trouver un équilibre.
Considérez-vous que le festival soit demeuré fidèle à ses mythes fondateurs ? Ne tend-il pas parfois à se transformer en parc d’attractions estival pour bobos et autres moutons de la culture ?
Sincèrement, je ne le crois pas. Avignon reste un lieu de la pensée, ouvert aux artistes de tous horizons, où l’on s’efforce de faire du théâtre populaire : 120 000 billets y sont vendus à un tarif inférieur à celui que proposent les théâtres parisiens. Nous nous battons pour que le métissage social s’y développe et nous luttons contre le vieillissement du public.
Votre mise en scène du Roi Lear ouvrira le Festival 2015 dans la cour d’honneur du palais des Papes. Pourquoi estimez-vous que cette pièce de Shakespeare est celle qui parle le mieux du xxe siècle ?
Il n’y a pas de chronologie dans le rapport entre les œuvres et l’Histoire : le Roi Lear est à mes yeux une pièce du xxe siècle ! Au xixe, on la jouait réécrite en alexandrins, très moralisante et avec un happy end. Au xxe, on a assumé l’effroyable déflagration du non-sens. Beckett et Ionesco ont permis de la lire autrement, comme l’effondrement, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, de l’espérance. Ma pensée s’inscrit dans ce grand silence d’après Auschwitz qui est apparu à partir des années 1970, c’est-à-dire quand je suis venu au monde de l’esprit.
La salle de la FabricA, qui a coûté vingt millions, ne dispose toujours pas de budget de fonctionnement, deux ans après son ouverture. Cet équipement exceptionnel n’est-il pas disproportionné à Avignon ?
On y joue pendant le festival, et il est utilisé le reste de l’année comme lieu de création et de répétition. S’il est disproportionné, c’est par rapport à ce qu’on pourrait en faire : l’un des plus beaux théâtres de France. Il y a un projet culturel unique en Europe à développer sur le territoire de Monclar. Encore faut-il qu’il y ait les volontés politiques. Aujourd’hui, elles manquent. J’ai l’impression que le rêve des pouvoirs publics est un théâtre à l’américaine qui fonctionnerait avec des fonds privés. On est loin du théâtre défini par Jean Vilar comme un service public.
Le contexte politique est sensible à Avignon. La montée du Front national s’est révélée lors des élections municipales de 2014 et tout récemment lors des cantonales, dans l’ensemble du département de Vaucluse. L’avenir du festival n’est-il pas menacé ?
L’avenir menaçant rend le présent passionnant : il y a un combat à mener ! Or j’ai le sentiment qu’il n’est pas conduit par les forces politiques. C’est aux citoyens de se lever et d’imaginer de nouvelles organisations. Je ne crois pas à la démocratie participative parce qu’elle est toujours au service des partis qui ne cessent de nous trahir. Je milite en faveur d’une démocratie au quotidien. Il faut réintroduire le sens politique dans la cité. C’est ce qui se passe à Avignon, pendant trois semaines, en juillet, avec la culture au centre. On ne sent pas dans la population de désengagement de la chose culturelle comme il y a manifestement un désengagement de la chose politique. Les citoyens ne trouvent pas la culture et l’éducation infondées dans notre société. Ce sont les politiques qui n’y croient pas et qui ne viennent plus dans les salles de spectacle. Ils sont enfermés dans leur carrière et tournent en rond dans leur bocal. À nous de les réveiller !
Vous assurez que le théâtre n’enrichit pas seulement notre culture, mais qu’il élève notre conscience…
Il ne faudrait pas que la culture devienne une sorte de gymnastique personnelle qui n’engagerait que l’intimité. L’extension du mot culture au divertissement, au tourisme, à la décoration… en fait une espèce d’équivalent spirituel de la culture physique. Cette idée me semble dangereuse. On ne va pas au spectacle afin d’être un peu plus cultivé pour mieux briller aux dîners de la baronne ! Le but, c’est de se sentir mortel et de se sentir citoyen. C’est pourquoi, pour ma part, je vais au théâtre avec de plus en plus de passion. Chaque spectacle est un monde en soi qui n’est comparable qu’à lui-même. ¶
Propos recueillis par
Rodolphe Fouano
- Les textes d’Olivier Py sont publiés chez Actes Sud www.actes-sud.fr.
- Notamment au Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu’au 18 avril 2015.
- Lire « Moi, directeur du Festival d’Avignon », Cahiers Jean-Vilar no 116, janvier 2014.
- Programme complet sur www.festival-avignon.com.
Photo d’Olivier Py : © Carole Bellaïche / Festival d’Avignon