« Cartoon », Mike Kenny, Odile Grosset-Grange, Théâtre de la Coupe d’Or, Rochefort 

Cartoon-mike-kenny-Odile-Grosset-Grange © Christophe-Raynaud-de-Lage

Ça « cartoone » !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

L’univers des cartoons s’invite sur les planches ! Odile Grosset-Grange met en scène une pièce inédite de Mike Kenny qui traite des normes et du désir de vie. Les rires ont fusé lors de cette création au Théâtre de la Coupe d’Or, scène conventionnée de Rochefort. Rythme, poésie, profondeur et humour… Cet excellent spectacle tout public plaît aux grands comme aux petits.

Jimmy et Dorothy sont les enfants de Norman et Norma Normal. Ils habitent Normal Street, à Normal-ville. Jusque-là, tout ce qu’il y a de plus… normal ! Ils vivent parmi nous, les humains, ils semblent ordinaires. Toutefois, leurs vies répondent à d’autres règles, car ce sont des personnages de dessins animés : le bébé, le chien et le poisson rouge parlent, mais ne ressentent jamais la douleur, ne vieillissent pas, et donc, ne meurent pas.

© Christophe Raynaud De Lage

Si les évènements semblent arriver, malgré eux, chaque jour, tout redémarre effectivement à zéro dans un nouvel épisode, comme si la veille n’avait pas existé. Jusqu’au moment où la mère, scientifique de son métier, confond le biberon avec sa dernière potion. Bizarre, vous avez dit bizarre ?Il faut dire que la famille est toujours entraînée dans des aventures rocambolesques, dignes d’un Tex Avery.

Vécu et immortalité

En fait, qu’est-ce qui est normal ? Cartoon teste les limites du possible, ce que l’on peut changer. Pourquoi souffrir ? Pourquoi vivre, si l’on meurt ? Mais surtout pourquoi vivre, si l’on ne meurt jamais ? Quel intérêt a le vécu, si jamais rien ne change, comme ces personnages, certes aux super pouvoirs, mais qui doivent éternellement tout recommencer. Ne vaut-il pas mieux garder les traces de nos expériences, les pires comme les mauvaises ? Alors, quelles options prendre ?

Ce spectacle aide à accepter les épreuves, dont la finitude. De quoi garder le sel de l’existence. Il incite aussi les enfants à se poser les bonnes questions pour faire ses propres choix, en connaissance de cause. Ne pas se laisser porter et être attentif à l’Autre. Ces sujets philosophiques rejoignent les questionnements sociaux de l’auteur sur le hors norme, le libre arbitre, la solidarité.

Un auteur qui aime les contes, les récits d’initiation. Intergénérationnel, rivalités familiales, stigmatisation… Ici encore, victime et bourreau se confrontent : « J’aurai ta peau, le p’tit nouveau ». D’emblée, Craig, la petite brute du quartier, harcèle Jimmy. Mais qui est vraiment le souffre-douleur ? C’est une mine, sur le plan pédagogique.

Univers pop et joyeux

Des personnages en deux, voire trois dimensions, des effets spéciaux, une émission de « télé-irréalité » en préparation… Tout peut arriver ! Il suffit donc de renverser les perspectives et les rôles. Avec malice et dextérité, Odile Grosset-Grange joue avec les codes du cartoon, les détourne même. D’abord, les comédiens puisent dans le registre. Pauses, ralentis, accélérés requièrent une grande précision et un entraînement physique. Quelle énergie ! Ça oui, ils ont la « cartoonattitude ». En plus, ils chantent et ils dansent.

© Christophe Raynaud De Lage

Le bébé, le chien et le poisson Sushi sont joués par des marionnettes. Les enfants les adorent. La collaboration artistique avec Les Anges au Plafond est fructueuse. Le spectacle comprend aussi de l’acrobatie et de la magie nouvelle, aux effets bluffants : à deux reprises, les personnages évoluent au-dessus du vide. Les lumières sont parfaitement adaptées pour ces vols, comme pour le reste.

Exigences techniques

D’ailleurs, l’univers, très graphique, contraste avec ce que l’on peut attendre des cartoons. On met du temps à réaliser que nous sommes face à des personnages de dessins animés. Leurs costumes rétro traduisent bien le rapport complexe au temps. Avec les accessoires et les lumières, ils pimpent l’ensemble. Tandis que l’aspect kraft donne une certaine unité, les touches de bleu évoquent la télévision. Et les cartons abondent. Normal, pour une famille en perpétuel déménagement !

Astucieuse, la scénographie est constituée de deux panneaux recto verso, qui structurent la maison et le mobilier. Leur mobilité permet de créer un grand nombre d’images en transformant l’espace avec fluidité. Le décor est également composé en avant-scène d’un cadre lumineux, indiqué par l’auteur, qui symbolise le dedans et le dehors, mais aussi l’écran de cinéma, que les héros choisissent (ou pas) de traverser.

© Christophe Raynaud De Lage

Qui ira de l’avant, plutôt que faire machine arrière ? La mise en scène comporte tant de trouvailles et de surprises. Par exemple, le dessin sous sa forme animée survient quand on ne l’attend pas. Tout est très soigné, comme le travail sur le son. Les bruitages ont en effet leur importance et les nappes électro soulignent l’aspect répétitif de la vie des personnages.

Création mondiale

Après huit semaines de résidence dans plusieurs lieux, logique que la création mondiale se soit faite au Théâtre de la Coupe d’or, où Odile Grosset-Grange est artiste associée. Pour l’occasion, Mike Kenny était présent. Quel privilège de le rencontrer ! Depuis plus de trente ans, cet auteur britannique phare (édité chez Actes-Sud) se consacre à l’écriture de pièces pour le jeune public, pièces qu’il met aussi souvent en scène. Considéré comme une référence en matière de théâtre pour la jeunesse, il a écrit une cinquantaine de textes, montés dans son pays et à l’international. Non seulement, c’est en France qu’il est le plus populaire, mais que « les mises en scène de ses pièces sont les plus intéressantes », selon lui.

C’est Jacques Nichet qui le fait connaître en 1998. Puis, Marc Lainé lui commande deux textes, qu’il met en scène en 2009 et 2011. Odile Grosset-Grange, alors collaboratrice, fait sa rencontre. Elle est déterminante puisque, à ce jour, elle le monte pour la cinquième fois. Fine connaisseuse de son œuvre, elle a su restituer la substantifique moelle de cette pièce écrite en 2015, qui syncrétise ses thématiques, dans un style parfaitement maîtrisé. Excellent choix. Et sa mise en scène, particulièrement inspirée, en révèle tous ses atouts : profondeur, humour, poésie.

Ce spectacle rappelle aussi que Mike Kenny, lui qui a tant créé pour les « blessés de la vie », a ce talent rare de traiter de sujets graves en s’adressant à tous, avec différents niveaux de lecture. Voilà donc une belle complicité et un succès assuré ! 🔴

Léna Martinelli


Cartoon (ou) N’essayez pas ça chez vous !, de Mike Kenny

Traduction : Séverine Magois
Compagnie de Louise
Mise en scène : Odile Grosset-Grange
Avec : François Chary, Julien Cigana, Antonin Dufeutrelle, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, Pauline Vaubaillon
Assistant mise en scène : Carles Romero-Vidal
Chorégraphe : Gianni Joseph
Scénographie : Stephan Zimmerli, assisté d’Irène Vignaud
Dessins : Stephan Zimmerli
Accessoires : Irène Vignaud
Conseil marionnettes : Brice Berthoud
Fabrication marionnettes : Caroline Dubuisson
Conception machinerie et magie : Vincent Wüthrich
Création musicale et son : Vincent Hulot
Costumes : Séverine Thiebault, assistée de Pia Blanchon
Création perruque : Noï Karunayadhaj
Plateau / vidéo : Emmanuel Larue
Plateau : Maison Denier
Régie générale et lumières : Erwan Tassel
Construction des décors et machinerie : Jipanco
Tout public, dès 7 ans
Durée : 1 h 10

Théâtre de la Coupe d’Or • 101, rue de la République • 17300 Rochefort
Du 23 au 25 février 2023
De 5 € à 24,5 €
Tel. : 05 46 82 15 15

Tournée ici :
• Les 2, 3 et 5 mars, Théâtre d’Angoulême, scène nationale, dans le cadre du festival La Tête dans les nuages (16)
• Les 10 et 11 mars, L’Azimut, scène nationale – Théâtre La Piscine Châtenay-Malabry (92)
• Les 21 et 22 mars, La Comédie de Valence, centre dramatique national Valence (26)
• Du 4 au 6 avril, La Coursive, scène nationale La Rochelle (17)
• Du 14 au 16 avril, La Ferme du Buisson, scène nationale Noisiel (77)
• Les 4 et 5 mai, Gallia Théâtre, à Saintes (17)
• Le 26 mai, Théâtre de Gascogne, Le Pôle Mont-de-Marsan (40)

À découvrir sur Les Trois Coups :
L’Éloge de l’araignée, de Mike Kenny, par Léna Martinelli
Allez Ollie, à l’eau, de Mike Kenny, par Laura Plas
Mike Kenny, Lina Prosa, Sandrine Roche Et Joël Jouanneau, par Lise Fachin

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant