« Cendrillon », de Joël Pommerat, Théâtre Gérard‑Philipe « hors les murs », Saint‑Denis

L’art de renaître de ses cendres

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Camille de la Guillonnière promène entre les tours de Saint‑Denis une « Cendrillon » qui met le feu à la banlieue.

Cendrillon est un conte sans monstre ni loup, ni créature du troisième type. Il n’y a de monstrueuse que l’affreuse belle‑mère, bien sûr, et peut‑être, par contagion, Cendrillon elle-même, championne de l’autodestruction. En effet, la toute jeune fille estime ne plus mériter le bonheur depuis la mort de sa mère et recherche les tâches ménagères comme autant de séances de flagellation. Son père, lui, étouffe son désarroi dans la cigarette, ne laissant rien d’autre à son héritière qu’une odeur de cendrier froid, d’où le surnom de la pauvrette.

C’est une version parodiant la psychanalyse que nous offre le dramaturge Joël Pommerat. Il prend ses distances avec le siècle de Perrault pour nous brosser un conte aussi rigolo que cruel, bien de notre temps, sondant les misères de la famille recomposée, du féminisme mal compris et de la solitude de chacun face à ses tragédies personnelles. Cendrillon parviendra‑t‑elle à renaître de ses cendres ? That is the question.

La compagnie Le temps est incertain mais on joue quand même ! est, comme son nom l’indique, une sorte de phénix. Ayant essuyé dix années de pluies, grêles, vents violents, menaces d’orage et coups de tonnerre dans un ciel serein, elle réapparaît chaque printemps pour une tournée de plein air en région Centre et Pays de la Loire qui ne s’achève qu’à la fin des beaux jours. Les comédiens sont devenus des machines de guerre, dotés d’un organe vocal surprenant puisque habitué à concerter avec toutes sortes de tempêtes. Nouveauté de la saison 2016, les voici qui s’aventurent en banlieue nord de Paris et affrontent l’équinoxe d’automne, invités à pousser les murs du Théâtre Gérard‑Philipe pour installer leurs tréteaux au milieu des quartiers de Saint‑Denis.

Itinéraire d’un enfant cassé

Il y a beaucoup de douceur dans la voix de la talentueuse Aude Pons, la narratrice, qui ouvre le feu en invitant les enfants à se taire pour leur conter une histoire. Première surprise : l’étonnante autorité de la douceur sur le bruit. D’autres ressources, utilisées tour à tour par le metteur en scène, apprivoisent un public naturellement rebelle puisque retenu par rien. Il y a la pitrerie (oh ! le numéro de clown de Frédéric Lapinsonnière incarnant une fée dépressive et sous‑douée), les bruitages et les effets visuels saisissants (ah ! la coiffure cartonnée et les transformations physico-vestimentaires de l’irrésistible Lise Quet, belle‑mère plus bête que méchante ou plus méchante que bête, on ne sait que choisir). De fil en aiguille, de mégot en cendre, on en arrive à la plus émouvante des surprises : oui, les barres de H.L.M. de Seine‑Saint‑Denis peuvent constituer pour une troupe de comédiens ambulants un décor infiniment plus spectaculaire que toutes les vertes prairies de l’Ouest sauvage.

Car dans cet étonnant Cendrillon en banlieue, il y a une ressemblance entre le fond et la forme, entre le contenu de la pièce et le cadre du jeu.

Cette histoire de petite fille cassée 1 parle à tout le monde. Et l’idée que, sous les cendres d’une enfance malheureuse, couvent des braises qui peuvent soit détruire soit réchauffer, selon l’utilisation qu’on en fait, est bien convaincante. Malgré le désordre ambiant d’un terrain de basket un vendredi soir après la fin de l’école, il est à l’écoute, ce public disparate fait d’enfants rollers aux pieds et d’enfants sages, de mamans en foulards et de mamans en cheveux, de papas barbus et de papas chauves.

Des monstres, il y en a partout, nous le savons, qui se préparent en meute organisée ou en loups solitaires, et dont le carburant n’est autre que cette monstruosité que nous hébergeons en chacun de nous. La vertu du conte n’est pas de supprimer les monstres, mais de les dompter par la douceur d’une voix. Ou bien, comme ce spectacle, de transformer les braises en feu d’artifice. Bravo à Camille de la Guillonnière, artiste pyrotechnique qui n’a besoin ni de poudre ni de flammes pour produire l’étincelle de la joie de vivre. 

Élisabeth Hennebert

  1. L’expression « Itinéraire d’un enfant cassé » n’est pas de moi et sert de sous-titre au livre-témoignage sur la réinsertion d’un ancien détenu (Karim Mokhtari, Rédemption, éditions Scrinéo, 2013) sous les feux de l’actualité avec l’annonce du plan Urvoas.

Cendrillon, de Joël Pommerat

Cie Le temps est incertain mais on joue quand même !

www.le-temps-est-incertain.com

Mise en scène : Camille de la Guillonnière

Avec : Chloé Chazé, Frédéric Lapinsonnière, Aude Pons, Lise Quet, Mathieu Ricard, Clément Séjourné

Lumière : Julie Duquenoÿ

Photos : © Pascal Riondy

Théâtre Gérard‑Philipe • 59, boulevard Jules‑Guesde • 93207 Saint‑Denis

Métro : Saint‑Denis‑Basilique (ligne 13) ou R.E.R. D Saint‑Denis

Collège Dora‑Maar de Saint‑Denis le 27 septembre 2016, à 18 heures, maison de quartier Romain‑Rolland de Saint‑Denis le 30 septembre à 18 h 30, parvis du Théâtre Gérard‑Philipe de Saint‑Denis le 1er octobre à 19 heures

Tarif : entrée libre sur réservation au 01 48 13 70 00

www.theatregerardphilipe.com

Durée : 1 h 45

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