Pour vivre heureux, vivons cachés ?
Par Laura Plas
Les Trois Coups
« Cinq jours en mars » nous déroute pour instiller avec humour une réflexion sur nos sociétés occidentales. Distribution et mise en scène sont à la hauteur d’un texte redoutable et passionnant.
Les dix premières minutes, on déteste. Rien à faire des histoires de fesses de jeunes désœuvrés. Et puis cette logorrhée, ces tics de langage de minots (« J’y entrave que dalle », « c’est l’éclate totale », « super cool »), c’est proprement insupportable. On aborrhe l’écriture, on serait tenté de tordre le cou à ces acteurs tout beaux, tout neufs et survoltés. Mais, justement, on est déjà embarqué, sorti de sa léthargie. Inévitablement, on se situe face à une génération qui, elle, refuse de le faire. C’est « la génération Y » * dont parle Cinq jours en mars.
La pièce raconte en effet comment deux jeunes gens se rencontrent, puis s’enferment cinq jours durant dans un love hotel tandis que la guerre en Irak éclate. Après nous, le déluge… Mais peut-on résumer ainsi l’intrigue ? Peut-on la raconter tout court ? Difficile d’ajouter foi à un récit dont les protagonistes sont multiples, la trame trouée et la continuité mise à mal par des narrateurs différents et souvent de seconde main. Bienvenue dans l’univers retors de Toshiki Okada ! Bien malin qui s’orienterait dans son écriture aussi labyrinthique que Tokyo.
« Lost in Narration »
Voir Cinq jours en mars, c’est donc tout d’abord éprouver ce plaisir que l’on ressent quand on est confronté à une écriture innovante. On est titillé, on est obligé de faire soi-même son chemin : verbe à questions plus qu’à thèses. Et puis l’écriture de plateau est elle-même pleine d’humour et de trouvailles. Confrontation entre vidéo type journal télévisé et huis clos théâtral, distribution brouillée qui exclut tout naturalisme, travail sur les décalages. On sent ici une profonde intelligence du texte conçu comme une partition. Les comédiens sont, par exemple, souvent isolés sur le plateau à l’image de personnages Lost in Translation. Les ruptures expressionnistes de jeu comme la bande-son permettent de faire la peau aux faux-semblants souriants. Chaque parti pris donne lieu à diverses interprétations.
Enfin, on est impressionné par l’engagement des comédiens qui incarnent tour à tour un personnage ou un autre avec une forme de dérision qui n’empêche pas la sympathie. Leur rapport à leurs rôles est problématisé. En effet, d’une part, leur jeu donne à voir une génération. Ils ne la méprisent pas, ne la jugent pas. Leurs mouvements incessants semblent traduire son besoin d’étourdissement. Son malaise et son désir d’amour, aussi. Mais, d’autre part, les interprètes, à l’inverse de leurs personnages malades de solitude, hantés par la peur de la bestialité, forment une vraie troupe et nous parlent de l’homme occidental d’aujourd’hui.
Cinq jours en mars est donc une belle occasion pour découvrir une écriture, un metteur en scène et une compagnie plus qu’inspirés. À suivre impérativement ! ¶
Laura Plas
* Le terme désigne la génération qui a aujourd’hui entre vingt et trente ans, et qui est connectée à son iPod (d’où le terme « Y » reprenant la forme des fils de l’appareil).
Cinq jours en mars, de Toshiki Okada
Traduction : Corinne Atlan
Cie des Lucioles • 10, rue du Général-de-Gaulle • 69000 Lyon
06 25 78 39 94
Site : www.compagnie-des-lucioles.fr
Courriel : contact@compagnie-des-lucioles.fr
Mise en scène : Jérôme Wacquiez
Avec : Charlotte Baglan, Alice Benoit, Flora Bourne‑Chastel, Christophe Brocheret, Nicolas Chevrier, Florient Jousse, Makiko Kawai
Scénographie : Jérôme Wacquiez, Anne Guénand
Création lumières : Stéphane Petit
Création sonore : Léandre Vaucher
Régie son : Émile Wacquiez
Costumes : Flo Guénand
Vidéo : Yuka Toyoshima
Photo : © Ludovic Leleu / C.R. de Picardie
Espace Alya • 31 bis, rue Guillaume-Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 27 38 23
Du 15 au 27 juillet 2014 à 13 h 5
Durée : 1 h 20
15 € | 12 € | 10 € | 5 €
À partir de 14 ans