Éloge de la vie
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans « Cold Blood », la nanodanse, langage chorégraphique original de Michèle Anne De Mey, est sublimée par le cinéma de Jaco Van Dormael. Toute une équipe au diapason d’un magnifique spectacle teinté d’onirisme.
Des figurines, des maquettes, une maisons de poupée… De ce bric-à-brac miniature naît une grande histoire filmée en temps réel et projetée sur scène, un rêve qui laisse bouche bée. Dès les premières minutes, la poésie opère. On ne peut qu’être captivé par l’originalité, la délicatesse et la beauté de ce qui nous est montré. Émerveillé, ému, amusé aussi.
Quelques accessoires, des illusions d’optique, quelques images dans un cadre, et cela suffit à faire naître un univers réel ou fantasmé. Tout un monde ! Du microcosme au macrocosme, du détail à l’immensité céleste, nous voilà transportés. Il nous est proposé en effet de vivre sept morts reliées entre elles par de subtils fondus enchaînés. Sans peur et sans crainte. C’est même burlesque, car chaque trépas est étonnant, de la plus dramatique disparition à la plus idiote. Et le plus fort, c’est que l’on revient de là d’où aucun voyageur ne revient. Que reste-t‑il alors ? En fait, on ne voit pas défiler toute l’existence des personnages. Il ne subsiste qu’une seule image – inattendue – qui s’imprime dans la rétine. Un souvenir. Une sensation inoubliable : « La douceur d’une peau, une après-midi qui sentait la vanille… ». L’essence de la vie.
Poésie et prouesse technique
Il ne s’agit pas d’un spectacle immersif, mais d’une vraie expérience de spectateur. Entre théâtre d’objets, cinéma et danse, c’est à nul autre pareil. Spectacle multimédia ? Performance cinématographique ? En tout cas, pour Cold Blood conçu comme un plan-séquence, l’équipe n’a pas le droit à l’erreur. Quelle ingéniosité ! Un panneau en aluminium positionné au bon endroit, une pincée de sable mais pas plus, beaucoup de fumée, et le tableau est saisissant. Hymne à l’artisanat, Cold Blood est une véritable création collective. Interprètes, réalisateur, scénariste, preneur d’images, décoratrice et créateur lumière s’activent pour nous faire voyager dans des séquences très visuelles, soutenues par une bande musicale extra. Et la virtuosité formelle n’entrave jamais l’émotion. Entre la fabrique en temps réel et les effets spéciaux, on en a plein les mirettes. Malgré tout, notre imaginaire est plus que jamais stimulé. C’est magique.
Ici, les mains ont la vedette. Dans l’ombre, des corps se frôlent, une tête hirsute surgit au milieu d’un champ, un couple se caresse, mais les doigts finissent toujours par occuper le cadre. Marionnettistes tout autant que danseurs, les interprètes se livrent à corps perdu, offrant une vraie chorégraphie, à la fois expressive et minimaliste.
D’ailleurs, on voit ici davantage les danseurs dans leur entier que dans Kiss & Cry. Au passage, ce succès mondial (depuis 2011, avec plus de 250 représentations en 9 langues) est toujours visible, notamment au Théâtre national / Bruxelles, du 7 au 11 décembre 2016. Ainsi, la grâce de Michèle Anne De Mey est à son comble. La danse à l’état pur. Et les claquettes de Fred Astaire, avec des dés à coudre, restent une scène d’anthologie. Tout comme l’hommage au Boléro de Béjart.
Décidément, on n’est pas prêt d’oublier Cold Blood. Abolissant les frontières de temps et d’espace pour créer un spectacle total, sa puissance émotionnelle est aussi jubilatoire que la vie dans ce qu’elle a de plus ténu, infime et essentiel. ¶
Léna Martinelli
Cold Blood, de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael et le collectif Kiss & Cry
Texte : Thomas Gunzig
Scénario : Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey
Mise en scène : Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey
En création collective avec : Grégory Grosjean, Thomas Gunzig, Julien Lambert, Sylvie Olivé, Nicolas Olivier
Et la participation de : Thomas Beni, Gladys Brookfield‑Hampson, Boris Cekevda, Gabriella Iacono, Aurélie Leporcq, Bruno Olivier, Stefano Serra
Danseurs : Michèle Anne De Mey, Grégory Grosjean et Gabriella Iacono
Cinématographie : Jaco Van Dormael et Julien Lambert
Chorégraphie : Michèle Anne De Mey et Grégory Grosjean
Décors : Sylvie Olivé, assistée de François Roux, Juliette Fassin, Théodore Brisset, Brigitte Baudet, Daniella Zorrozua
Costumes : Béa Pendesini et Sarah Duvert
Lumière : Nicolas Olivier, assisté de Bruno Olivier
Création sonore et mixage en direct : Boris Cekevda
Réalisateur : Harry Cleven
Image : Julien Lambert, assisté d’Aurélie Leporcq
Photos : © Julien Lambert
L’Onde • 8, avenue Louis-Bréguet • 78140 Vélizy-Villacoublay
Réservations : 01 74 78 38 60
Site du théâtre : www.londe.fr
Du 24 au 26 novembre 2016, à 20 h 30
Durée : 1 h 15
30 € | 22 €
À partir de 10 ans
Tournée :
- Du 24 au 26 janvier 2017, au Maillon, théâtre de Strasbourg-scène européenne (67)
- Du 8 au 17 février 2017, aux Célestins à Lyon (69)
- Du 27 février au 1er mars 2017, au Théâtre de Cornouaille, Quimper (29)
- Du 8 au 17 mars 2017, au K.V.S., Bruxelles (Belgique)
- Du 22 février au 23 mars 2017, au festival Composites, espace Jean-Legendre, Compiègne (60)
- Du 25 au 27 avril 2017, au Quai-C.D.N. Angers-Pays de la Loire (49)
- Du 1er au 3 juin 2017, au festival Perspectives, Sarrebruck (Allemagne)
Teaser : https://vimeo.com/156238017