« Kiss & Cry, nanodanses », de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael, Théâtre du Rond‐Point à Paris

« Kiss & Cry » © Marteen Van den Abeele

À corps perdus

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael ont imaginé un ingénieux dispositif qui croise les arts, entre théâtre d’objets, cinéma et danse. Le fruit de leur rencontre ? « Kiss & Cry », un spectacle hors norme, infiniment poétique, d’une beauté incommensurable sur le thème de la mémoire. Un chef-d’œuvre !

Sur la scène du Théâtre du Rond-Point transformée en studio de cinéma, une dizaine de techniciens s’affaire pour manipuler une grosse caméra articulée et d’autres, embarquées dans des éléments de décor miniatures, maisons de poupées ou jouets au charme suranné. Filmés en gros plan, quelques doigts agiles évoluent dans des cadres bricolés à vue. Réglées au millimètre et à très petite échelle, ces manipulations exigent la plus grande précision.

Dans l’ombre, deux corps se frôlent, voire s’étreignent, mais pour mieux s’effacer derrière les quatre mains qui ont la vedette. La nanodanse, vous connaissez ? C’est Michèle Anne De Mey qui a inventé ce genre tout particulier. Les phalanges s’entrelacent, les mains virevoltent, les paumes s’affrontent. Voilà un langage chorégraphique original, sublimé par le cinéma grandeur nature du cinéaste Jaco Van Dormael.

Nanodanse et théâtre d’objets sur grand écran

La scène est en effet à la fois espace de tournage et de projection. Au-dessus, un écran géant renvoie au spectateur l’histoire magnifiée née, là, en direct. Car s’il y a des maquettes pour tout décor, des mains et des doigts en guise de personnages, on nous raconte une vraie histoire. À l’image, une femme âgée, seule sur un banc, attend sur le quai de la gare. Elle se souvient de son premier amour, un garçon croisé par hasard dans un train : leurs mains s’étaient touchées… Rendez-vous manqués, histoires d’amour contrariées ou fantasmées, on suit cette Giselle au grand cœur qui convoque alors d’autres mains, plus expérimentées, avant d’essuyer plusieurs déceptions amoureuses. Les tiroirs de sa mémoire s’ouvrent un à un. Il en sort un théâtre à la fois intime et merveilleux, très sensuel, tout en émotions.

En couple, à la ville comme sur scène, les Belges Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey ont tout naturellement uni leurs talents pour évoquer le thème délicat de la mémoire. Que deviennent les souvenirs ? Dans sa mise en scène teintée d’onirisme, le premier explore la puissance de l’imaginaire et la part de l’enfance à travers un univers poétique personnel et une forme non linéaire du récit. On retrouve la patte de ce cinéaste souvent récompensé (Toto le héros, le Huitième Jour…). Quant à Michèle Anne De Mey, en scène avec Grégory Grosjean, elle est une interprète à la grâce infinie, dont chaque mouvement vient du cœur. Son engagement est total, jusqu’au bout des ongles. Ici, les danseurs, qu’on ne voit pas dans leur entier, semblent des marionnettistes. Pourtant, ce duo à quatre mains offre une vraie chorégraphie à la fois expressive et délicate, avec glissés, portés et même des pointes. C’est de toute beauté. À corps perdus, mais avec une sensualité à fleur de peau.

Un petit bijou

Dès les premières minutes, la poésie opère. De ce bric-à-brac surgissent des figurines, un aquarium, un bac à sable, un petit train. Cela suffit à faire naître un univers, des illusions d’optique, des séismes d’une grande magnitude. Un panneau en aluminium, une pincée de sable, quelques feuilles mortes, et le tableau est saisissant. La fragilité de ce monde miniature et la simplicité des effets contrastent avec la puissance des images.

Pur moment de poésie, le spectacle est aussi une prouesse technique. Conçu comme un plan-séquence, l’équipe n’a pas le droit à l’erreur. Hymne à l’artisanat, Kiss & Cry est une véritable création collective. Danseurs, réalisateur, scénariste, preneur d’images, décoratrice et créateur lumière s’activent pour nous faire voyager au rythme du Transsibérien. Un ballet, en somme ! Mais c’est très doux grâce aux allers-retours entre théâtre et cinéma, le tout accompagné par une trame musicale sublime.

Tantôt mélancolique, tantôt drôle, le spectacle est une expérience inédite. Comme quoi nos rencontres laissent aussi une empreinte indélébile sur nos corps à la mémoire si subtile. Un peu comme une caresse. On ne peut qu’applaudir à deux mains un tel chef-d’œuvre ! 

Léna Martinelli


Kiss & Cry, nanodanses, création collective sur une idée originale de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael

Mise en scène : Jaco Van Dormael

Chorégraphie et nanodanses : Michèle Anne De Mey, Grégory Grosjean

Texte : Thomas Gunzig

Interprété en alternance par :

  • Réalisateur : Jaco Van Dormael, Renaud Alcalde, Harry Cleven
  • Danseurs : Michèle Anne De Mey, Frauke Mariën, Grégory Grosjean, Denis Robert

Cameramans : Julien Lambert, Aurélie Leporcq, Philippe Guilbert

Assistantes caméra : Aurélie Leporcq, Juliette Van Dormael, Amandine Mahieu

Scénario : Thomas Gunzig, Jaco Van Dormael

Lumière : Nicolas Olivier

Image : Julien Lambert

Assistante caméra : Aurélie Leporcq

Décor : Sylvie Olivé assistée d’Amalgame-Élisabeth Houtart et Michel Vinck

Assistants à la mise en scène : Benoît Joveneau, Caroline Hacq

Design sonore : Dominique Warnier

Son : Boris Cekevda

Construction et accessoires : Walter Gonzales, Amalgame-Élisabeth Houtart et Michel Vinck

Conception deuxième décor : Anne Masset, Vanina Bogaert, Sophie Ferro

Régie lumières : Bruno Olivier, Thomas Beni

Manipulation décors : Bruno Olivier, Philippe Fortaine, Pierrot Garnier, Gabriella Iacono, Florencia Demestri

Narrateur : Jaco Van Dormael (français)

Régisseur : Bruno Olivier

Coordinateur technique : Thomas Beni

Coordinateur artistique : Grégory Grosjean

Son : Boris Cekevda

Techniciens lumière : Bruno Olivier, Thomas Beni, Gilles Brulard, Rémy Nelissen

Responsable et entretien décors : Pierrot Garnier

Techniciens plateau : Pierrot Garnier, Philippe Fortaine

Machinerie : Pierrot Garnier, Philippe Fortaine, Boris Cekevda

Électricien : Gilles Brulard, Rémy Nelissen

Cadre : Julien Lambert, Aurélie Leporcq, Philippe Guilbert

Photos : © Marteen Van den Abeele

Théâtre du Rond-Point • salle Renaud-Barrault • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris

Réservations : 01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

Du 19 juin au 7 juillet 2013, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures, relâche les lundis, les 23 et 30 juin

Durée : 1 h 30

34 € | 25 € | 14 €

Tournée :

  • Du 15 au 17 août 2013 : Sommerfestival, Helsinki (Finlande)
  • Du 2 au 4 octobre 2013 : Pittsburgh (États-Unis)
  • Du 11 au 13 octobre 2013 : Boston (États-Unis)
  • Du 19 au 22 décembre 2013 : K.V.S., Bruxelles (Belgique)
  • Du 8 au 10 janvier 2014 : Opéra de Saint-Étienne (42)
  • Du 21 au 23 janvier 2014 : Béziers (34)
  • Du 29 janvier au 6 février 2014 : Théâtre des Célestins, Lyon (69)
  • Du 19 au 28 février 2014 : Grand Théâtre de Namur (Belgique)
  • Du 18 au 22 mars 2014 : Combs-la‑Ville (77)
  • Du 16 au 18 avril 2014 : Valence (26)
  • Du 2 au 4 mai 2014 : Fondation Onassis, Athènes (Grèce)
  • Du 9 au 18 mai 2014 : les Écuries, Charleroi (Belgique)
  • Du 5 au 7 juin 2014 : Théâtre national de Toulouse (31)

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