« Constellations » et « Place aux auteurs », EAT, AF&C, SACD, festival Off d’Avignon 2023

Constellations © DR

Célébrer les auteurs, la coopération et l’intelligence partagée (épisode 2) !

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Après « Les Douze Heures des auteurs », la Maison Jean Vilar accueille un autre dispositif consacré au repérage, au soutien et à la promotion des écritures dramatiques contemporaines : la 2e édition de « Constellations » – proposé par les Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre (EAT) et AF&C, soutenu par la SACD.  Parallèlement, les EAT mettent à l’honneur les auteurs à travers des conférences, tables-rondes, ateliers d’écriture et sieste poétique, au Forum Pro et au Village du Off, du 21 au 23 juillet. Vive les auteurs de théâtre !

« Constellations » est une « une galaxie de rencontres », nous explique Véronique Boutonnet. En effet, les vingt lecteurs du comité de lecture des EAT repèrent chaque année quatre textes qui sont ensuite proposés à des directeurs de théâtre du Off d’Avignon, puis produits par des compagnies. Cette heureuse « triade » permet de faire sortir de l’ombre une œuvre solitaire et de l’exposer sur une scène. L’organisation professionnelle finance donc les résidences d’artistes et la mise en maquette de leurs textes, elle les accompagne sur le territoire et soutient aussi les plateaux techniques pendant la durée du festival.

Not-Koko’s-Notes © DR
« Not Koko’s Notes », d’Édouard Elvis Bvouma, Théâtre La Ruche © DR

Installés dans le charmant Salon de la Mouette de la Maison Vilar (tout près de la sublime exposition L’œil présent continue, du photographe Christophe Raynaud de Lage), nous découvrons donc la sélection de mises en maquette. En particulier deux pièces. Not Koko’s Notes d’Édouard Elvis Bvouma, présentée par la compagnie Théâtre La Ruche, sera jouée l’été prochain au théâtre Isle 80. Et Tom, de Stéphanie Mangez, accompagnée par Compagnie 172 (associée à La Factory), sera visible à la Chapelle des Antonins ou Salle Tomasi. Nous n’aurons pas le temps d’assister à la présentation publique des deux autres (car une conférence sur les comités de lecture nous intéresse au village du Off à 15 h 30) : il s’agit de L’Enfant aux cheveux bleus de Laura Desprein (texte jeunesse, Compagnie Kumzitz, avec l’Archipel Théâtre) et de la pièce D’avoir pleuré à l’hypermarché de Tristan Choisel (Compagnie Branle-Bas de Combat, avec le Théâtre Transversal).

Koko et Nono à 13 h 30

L’auteur Édouard Elvis Bvouma, resté au Cameroun, introduit sa pièce dans un petit film : Not Koko’s Notes mêle l’histoire vraie d’une chanteuse de son pays, Koko Ateba, dont la carrière prometteuse a été anéantie après une soirée officielle en 1988, et une fiction. Puis, des interprètes de la compagnie guyanaise Cie de la Ruche prennent en charge un extrait : Koko se présente à nous dans un monologue. Elle évoque sa voix héritée de sa grand-mère, les contes qu’elle a reçus en héritage et surtout l’histoire chantée d’Atemengue (une femme rejetée car elle ne peut enfanter, « une demi-femme trompée par ses trompes »). C’est cette chanson brûlante qu’elle choisit, plus tard, lors de la cérémonie présidentielle où elle incarne la « diversité culturelle », et qui déplaît tant au couple au pouvoir. Ensuite, c’est au tour de la jeune Nono de s’adresser à nous dans sa chambre. L’adolescente rebelle aussi possède une belle voix et admire Koko. Mais son éducation, son père haut fonctionnaire, lui imposent de « baisser le col », l’empêchent d’être qui elle veut, l’entravent. Alors elle fuguera dans la capitale.

Ce texte polyphonique, rythmé, truffé de jeux de mots, accompagné de musiques, est lu avec intensité par Aminata Abdoulaye, Jessica Martin et le poète Roland Zéliam, que nous présente avec une joie communicative la metteuse en scène Valérie Goma. On a hâte de découvrir le spectacle.

Tom à 14 h 30

Stéphanie Mangez a écrit cette pièce pour trois hommes et deux femmes en 2017. Elle a été sélectionnée par le Comité de lecture des EAT l’année suivante, et publiée chez Lansman éditeur. L’extrait de 20 minutes donné à entendre par la compagnie nous place face à un adolescent attendu par sa famille d’accueil. Tom est pétrifié, il n’a « pas les épaules » selon lui. Comment affronter ce couple, Catherine et Bernard et leur fils Achille, avec lequel il va partager une chambre ? Le metteur en scène explique qu’il imagine des sons et des vidéos pour rendre compte des pensées de Tom (un juge l’a éloigné de sa mère alcoolique, l’a placé en foyer, et il n’a pas eu de père). Mais la lecture par les acteurs exprime déjà fortement le choc de cette rencontre : la subtilité des dialogues, les maladresses et non-dits sont parfaitement mis en exergue par les acteurs.

Comme le Louis de Lagarce, dans Juste la fin du monde, Tom reste souvent silencieux. Il « s’adapte » quand son père adoptif lui raconte l’histoire d’une chatte ayant rejeté l’un de ses chatons… Mais il crie intérieurement, en refusant par exemple de quitter ses chaussures la nuit. Il se tape la tête contre les murs, littéralement, en comprenant que sa mère n’est pas au rendez-vous fixé par le juge. La crise culmine lorsque Catherine rapporte un commentaire de sa propre mère : quelle folie « de laisser un inconnu entrer dans son intimité » ! Car cet enfant (et peut-être n’importe quel enfant) est perçu comme un étranger, un intrus. Ces questions familiales et la proposition scénique ébauchée par la compagnie ont de quoi nous mettre en appétit : vivement la suite en 2024 !

Tom © DR
Tom © DR

Table ronde à 15 h 30 : découvrir les comités de lecture 

Nous nous précipitons ensuite vers le Village du Off. L’auteur Laurent Contamin anime dans l’espace Agora une conférence dédiée au fonctionnement des comités de lecture des textes dramatiques. Marjorie Fabre, Présidente du comité de lecture jeunesse 2023 des EAT, Laurent Maindon, fondateur du comité de lecture de la plateforme PlatO, Claire Rouet et Mélanie Barsky, qui représentent le comité de lecture de la Comédie de Caen (dirigé par Simon Grangeat), sont rassemblés pour expliquer comment tenter de sortir de l’anonymat comme on écrit pour le théâtre.

Le site d’Artcena est déjà fort utile pour un auteur cherchant à diffuser son texte : une cinquantaine de comités de lecture y sont recensés, présentés. Envoyer un simple PDF facilite les démarches pour les auteurs, comme pour les structures. Les invités ajoutent que les sélections se font aussi en fonction d’actions menées, de projets singuliers. Par exemple, À Mots découverts propose à des comédiens de lire des textes au Théâtre 13.

Ils nous renseignent aussi sur la diversité des lecteurs participant à la sélection des textes envoyés : des professionnels, des étudiants, des retraités, des auteurs. Aux EAT, ils sont un peu rémunérés mais généralement, ce sont des bénévoles. Tous sont ravis de découvrir de nouvelles écritures dramaturgiques, de soutenir des auteurs (après avoir été aidés eux-mêmes, comme aux EAT), de débattre ensemble. Les échanges démocratiques entre lecteurs sont un temps essentiel d’émulation, de surprises, d’intelligence collective : chacun affine ses grilles de lecture personnelles.

Au PlatO, chaque texte (à envoyer fin octobre) est lu par quatre personnes ; à la Comédie de Caen, qui reçoit 300 à 400 manuscrits par an, tout au long de l’année, on sélectionne dix textes et on mène des actions, notamment avec la revue annuelle La Récolte (éditée en partenariat avec Les Solitaires Intempestifs, avec le soutien du CNL et de la fondation Jan Michalski : lire ici).

Couverture-revue-Récolte © DR

Les comités Jeunesse et tout public des EAT proposent des envois de manuscrits début octobre, travaillent en partenariat avec des éditeurs et le dispositif Constellations, et organisent des lectures le jeudi midi au théâtre de l’Opprimé, ainsi que l’événement Texto’Mino. Tous échangent avec les écoles de théâtre, les conservatoires. Ils s’efforcent de faire des retours constructifs aux auteurs. Certains demandent des manuscrits anonymes, d’autres préfèrent connaître le parcours de l’auteur.

Pour finir, ces lecteurs experts et passionnés conseillent aux auteurs de « rester subjectifs », de ne pas imaginer qu’il existe un goût consensuel, un formatage, et de « faire feu de tout bois » : ne pas hésiter à envoyer son texte aux éditeurs et aux comités de lecture. Certes, les deux n’ont pas les mêmes visées immédiates, mais le membre d’un comité de lecture dans une maison d’édition peut faire partie d’un autre comité de lecture.

Bref, c’est un petit monde. Il faut oser adresser son texte pour lui donner une chance de mener sa vie (mise en voix, publication dans La Récolte ou chez un éditeur, mise en scène) et de rejoindre, qui sait, d’autres étoiles du spectacle vivant. 🔴

Lorène de Bonnay


Constellations, EAT, AF&C, SACD et Place aux Auteur.rice.s

Maison Jean Vilar • 8, rue de Mons 84400 Avignon Le vendredi 21 juillet 2023, de 13 h 30 à 17 h 30
Accès libre (réservation conseillée)
Réservations : 04 90 86 59 64

Place aux Auteur.rice.s

Du vendredi 21 au dimanche 23 juillet 2023
Programme ici 

Dans le cadre du festival d’Avignon off, du 7 au 29 juillet 2023
Programmation ici et sur le site des E.A.T.

Les Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre (EAT) • 10, rue Boulay • 75017 Paris • 01 42 29 78 64
Les adhérentes et adhérents des E.A.T. sont à Avignon cet été ! Découvrez leurs spectacles

Partenaires : Festival off d’Avignon, Bnf / Maison Jean Vilar, Association Jean Vilar, SACD, La Récolte

À découvrir sur Les Trois Coups :
Les Douze Heures des auteurs, Festival d’Avignon 2023, par Lorène de Bonnay

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