« Dans l’espace », Un Loup pour l’Homme, Les Multipistes, Tandem, Arras

dans-l-espace-un-loup-pour-l-homme © Valérie-Frossard

Forces spéciales

Comme toujours, la programmation est à la croisée des disciplinesPar Léna Martinelli
Les Trois Coups

Voilà 14 ans que le Tandem, scène nationale Douai Arras, présente la vitalité du cirque contemporain. Focus sur notre coup de cœur, la dernière création d’Un Loup pour l’Homme, « Dans l’espace », qui réinvente formidablement la technique des portés acrobatiques pour défendre un propos écologique et profondément humaniste. À noter que cette 14édition de Multipistes se poursuit jusqu’au 25 janvier.

Comme toujours, la programmation est à la croisée des disciplines : Semilla, pour tout-petits, racontait une histoire avec les corps plutôt qu’avec les mots. Tangled Drop mêlait le rapport au corps très concret du jongleur Jörg Müller à l’univers visuel fantastique de la plasticienne japonaise Tabaimo. Une fascinante immersion, à partir d’illustrations animées à l’aide de nouvelles technologies, dans nos peurs et nos angoisses.

© Valérie-Frossard

Pas moins originaux, le Cycle de l’absurde, Backbone, Der Lauf et Dans l’espace sont sans doute les projets les plus « cirque » présentés cette semaine. Avec la 32e promotion du CNAC, Raphaëlle Boitel nous embarquera dans des séquences existentielles de haute volée. Quant à la compagnie Vélocimanes Associés, elle présentera un cabaret chamboule-tout insolite, de l’aléatoire génial qui se nourrit des ratés et des imperfections. Un jonglage à l’aveugle, littéralement, puisque l’artiste manipule les objets les plus fragiles avec un seau sur la tête (lire notre critique ici). En clôture de festival (les 24 et 25 janvier), ne pas rater, non plus, la compagnie australienne qui cultive l’excellence, tout comme l’esprit de famille : Gravity & Other Myths, dont l’énergie est décidément communicative.

« De la nécessité de l’équilibre… »

Pour Dans l’espace, le Tandem est à nouveau sorti de ses murs, puisque le spectacle se déroulait dans le chapiteau de la compagnie, installé sur le parking de la citadelle. Librement inspiré du petit précis d’écologie sociale de Fabio Viscogliosi, Un loup pour l’Homme explore le champ social et notre rapport à l’environnement. À quoi bon être fort, si nous ne sommes pas en harmonie avec ce qui nous entoure, les autres, mais aussi la nature ?

Pensé comme terreau d’étude des relations humaines, la compagnie développe donc sa réflexion sur les interactions au sens large : « un projet de société avec vents et marées ». Au-delà de la sphère sociale, cette vision replace l’humanité comme partie prenante d’un milieu également façonné par des forces physiques où roche, sable, échelle, perche, sangle imposent des contraintes à prendre en compte.

On ne sait pas trop comment ils sont arrivés là, ni ce vers quoi ils tendent, mais c’est trop tard ! Les protagonistes doivent faire avec les contingences : s’échapper, sauter, éviter, supporter, risquer… Dans une succession de séquences où ils réinventent sans cesse les règles, des acrobates, accompagnés de deux musiciens live (rock progressif), défient donc les lois naturelles. Pourquoi donc se contenter d’un simple numéro de main à main ? Autant le faire en équilibre sur une petite roche. Comment un « poids plume » peut-il porter de telles charges ? Rien n’est impossible. Et quand le sable ne pèse plus des tonnes, comment des acrobates peuvent-ils évoluer sur une piste où un simple grain de sable peut tout faire rater ?

« … face à l’imminence du désastre »

Comment affronter les catastrophes sans (trop) vaciller ? Le secret : la puissance plutôt que le pouvoir ; le dialogue et non la lutte. Dans leur précédente création, Cuir, un duo jouait de harnais dans une sorte d’arène, pour amplifier le potentiel de traction humaine, tout en renversant les rapports de force. Ici, encore, il s’agit de déjouer les règles pour décupler sa puissance. Et pas asseoir la domination.

Dans-l-espace-Un-Loup-pour-L-homme-©-valerie-frossard
© Valérie Frossard

Éloge d’une puissance fondée sur l’équilibre et l’harmonie. Chaque matériau est partenaire à part entière des évolutions acrobatiques. Les dispositifs, plus ou moins élaborés, toujours surprenants, mettent en prise directe avec la dynamique, la cinétique, la balistique, autant de domaines qui ont inspiré à ces artistes des expérimentations, mais cela de façon très légère, sinon ludique. On éprouve concrètement les notions de gravité et d’équilibre, en particulier dans les relations que les acrobates tissent entre eux, lors de situations improbables où poids et contre poids jouent leur rôle, où chaque posture découle d’une maîtrise de la suspension, de la rupture, de la statique. Tous les interprètes sont exceptionnels. Balèzes, serions-nous tentés de dire ! Oui, mais d’une force… spéciale.

Écriture circulaire

Pour servir le propos, la mise en scène décline la figure du cercle. La piste nous ramène aussi bien à la terre matrice qu’à la sphère sociale. La scénographie, composée de molécules primaires (minéral, bois, métal, tissu) suggère autant la démesure de certains phénomènes naturels que l’intimité de la sphère humaine. Toutes les séquences présentent un intérêt, que ce soit pour leur intelligence, leur drôlerie ou encore leur créativité. Parmi les plus impressionnantes : celle de la perche en cuivre, sorte de pendule au mouvement aléatoire, qui menace d’assommer le duo à chaque minute. L’urgence et la menace deviennent concrètes, mais n’empêche pas la ronde des sentiments, la fraternité.

© Valérie-Frossard

Ce cirque d’attraction, de gravitation et d’oscillation replace sans cesse l’humain face au poids de ses décisions. Pas au centre du monde, mais cœur d’un écosystème. Il s’agit donc d’un art de l’action, plutôt que de démonstration. Les hommes ne masquent pas leur fragilité. Faillibles, ils doivent toujours s’adapter, esquiver, feinter, s’allier, pour trouver des solutions.

Libérée de son carcan gymnique conventionnel, cette technique des portés acrobatiques est le support d’un véritable langage au puissant potentiel dramaturgique. Bien que sans un mot, porteurs et voltigeurs dialoguent véritablement et nous disent beaucoup, sur l’importance de la solidarité, le respect de soi, de l’autre et du monde. En somme, de l’espace commun pour sauvegarder toutes les espèces, vivantes ou pas. 🔴

Léna Martinelli


Dans l’espace, d’Un loup pour l’homme

Site de la compagnie
Direction artistique : Alexandre Fray
Avec : Leon Börgens, Pablo Escobar, Alexandre Fray, Spela Vodeb (acrobates) et Joris Pesquer, Enguerran Wimez / Dalès (musiciens)
Scénographie : Miriam Kooyman
Regard extérieur : Paola Rizza
Direction technique et régie lumière : Rémi Athonady
Durée : 1 h 15
Dès 7 ans

Arras Théâtre • 7, place du Théâtre • 62000 Arras
Du 9 au 11 décembre 2022
Réservations : 09 71 00 56 78
Dans le cadre du festival Les Multipistes, 14e édition, du 29 novembre 2022 au 25 janvier 2023, à Arras Théâtre et à Douai Hippodrome

Tournée ici :
• Du 10 au 12 mars 2023, Théâtre municipal de Coutances, dans le cadre de Spring (50)
• Les 6, 7, 12 et 13 avril, La Faïencerie, scène conventionnée de Creil (60)
• Du 25 au 27 mai, Le Prato, Pôle national cirque de Lille, dans le cadre du festival Les Toiles dans la Ville (59)
• Du 7 au 9 juin, Festival Ay Roop, à Rennes (35)
• Du 16 au 18 juin, Transversales, scène conventionnée cirque de Verdun (55)
• Du 23 au 25 juin, Le Plongeoir, dans le cadre de Le Mans fait son cirque (72)

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Cuir », au Festival Bonus 2021 d’Hédé-Bazouges, par Léna Martinelli

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