« Déraisonnable », Denis Lachaud, L’Artéphile, Festival Off Avignon

Déraisonnable-Denis-Lachaud © Productions-du-Sillon

Portrait sensible

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

En témoignant de sa bipolarité, Florence Cabaret dresse un portrait acéré de notre société pleine de contradictions. Elle livre aussi un éloge émouvant aux pouvoirs du théâtre et de la poésie.

Un soir, alors qu’elle joue Marie Tudor, une actrice disparaît. Elle erre dans les rues jusqu’à ce que la police la retrouve, au bout de 48 heures. Elle souffre d’un trouble bipolaire, mais ne le sait pas encore. Commence alors un long parcours, de celui qui n’aide pas à retrouver la raison.

D’emblée, on est touché par ce destin, car on comprend vite que c’est l’histoire de Florence, là devant nous, cette formidable comédienne qui vibre de tout son être. Elle exprime force et fragilité avec une rare sensibilité, tout en faisant preuve d’une lucidité à toute épreuve.

Témoignage poignant et plein de vie

La metteure en scène Catherine Schaub la connaît depuis longtemps. Lorsque Florence Cabaret lui fait son récit, elle a l’idée d’un spectacle. Planter sa production, parce qu’en plein délire, une actrice déserte le théâtre, puis enterre ses papiers d’identité pour pouvoir être pleinement « reine », n’est pas commun. Voilà une situation très théâtrale !

© Productions du Sillon

Denis Lachaud assemble un riche matériau, ce qui donne un texte peut-être un peu trop bavard. Au vécu s’ajoute des aspects documentaires sur la pathologie, les traitements, la prise en charge des patients. On préfère quand la comédienne se raconte, des signes avant-coureurs aux séjours en HP, en passant par son quotidien ou ses relations aux autres.

Plus intéressant encore, son rapport au texte de théâtre et au personnage qu’elle doit interpréter. Surtout que Florence Cabaret a été prête à jouer le jeu / je. Or, quel courage de s’incarner soi-même, surtout quand on souffre de dédoublement de la personnalité. Mais l’auteur a habilement articulé les séquences pour composer un texte à plusieurs voix destiné à une comédienne unique jouant tous les personnages (elle, Marie Tudor, proches, psychiatres…). Vertigineux ! Outre la diversité des points de vue, il a su faire résonner les multiples facettes de la réalité par un langage approprié.

On est aussi séduit par plusieurs trouvailles poétiques de mise en scène. Les crises ont inspiré des séquences particulièrement réussies, telle la tirade de son dernier rôle, avant la crise. Forcément : Marie Tudor s’invite ! Les lieux où se croisent les personnages défilent vite, grâce aux couleurs et à des images poétiques, comme celle où, border line, Florence Cabaret tente de garder l’équilibre. « Des eaux troubles » au « fond du fond du gouffre », on prend vraiment la mesure d’une telle épreuve. Le rapport avec le public est direct et sans fard, la colère contre les médecins palpable, mais l’humour instaure une juste distance.

Heureusement, un traitement mieux adapté a pu réenchanter son existence, en lui permettant de remonter sur scène, car la passion du théâtre ne l’a jamais quittée. Depuis début juillet, donc, reine de sa propre histoire, elle est applaudie en jouant sa vie. Et « Jouer, c’est la joie ! », clame-t-elle, le regard si clair. Dans cet espace blanc, clinique, elle réécrit chaque jour son histoire avec un grand H, en illustrant – ou plutôt incarnant – le pouvoir rédempteur de l’art et de la parole. Magnifique renaissance. 🔴

Léna Martinelli


 

 

 

 

 

 

 

 

 

Déraisonnable, de Denis Lachaud

Site des Productions du Sillon
Mise en scène : Catherine Schaub
Avec : Florence Cabaret
Lumière : Thierry Morin
Musique : Aldo Gilbert
Dès 13 ans
1 h 10

L’Artéphile • 7, rue Bourgneuf • 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2022 (relâches les mercredis), à 13 h 30
Tarifs : de 12 € à 17 €
Réservations : 04 90 03 01 90 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. Le spectacle nous a beaucoup déçus. Le titre était pourtant évocateur, si le sujet de la bipolarité avait été traité avec humour sur la thématique du déraisonnable. Ce n’est pas du théâtre, juste un témoignage plein de réalisme, certes, mais juste un témoignage, touchant pour ceux qui ne connaissent pas le monde de la psychiatrie.

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