« Discussion avec D. S », de Raphaëlle Rousseau, Théâtre de La Bastille, Paris

Discussion-avec-D.S- Raphaëlle-Rousseau © India-Lange

Esprit, tu es là !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

« Discussion avec DS » séduit par son esprit et sa facétie, qualités dignes de Delphine Seyrig que Raphaëlle Rousseau invoque et incarne : une « tentative » peut-être inachevée mais vivifiante et très actuelle, dans son évocation du métier d’actrice et de la condition féminine. 

Boîtes noires : appareil photographique ou théâtre. Dans leur obscurité peut surgir le halo des apparitions. Dès l’origine, des photographes capturent dans leur fugacité des esprits. Des hommes et des femmes, que l’on nomme acteur.ices donnent, quant à eux, corps à des fantômes. C’est ce qui se produit dans Discussion avec D. S ( penser « déesse »?) où Raphaëlle Rousseau illumine le plateau de l’esprit feu-follet de Delphine Seyrig. Elle lui donne même corps, interrogeant, on l’aura compris, le mystère du théâtre.

© India Lange

Or, l’esprit de Delphine est frondeur. Le fantôme, comme tant de délicieuses comédies – et le spectacle est très drôle – veut faire les choses à sa manière. Elle ne s’en laisse pas conter. D’ailleurs, Raphaëlle Rousseau ne lui fourre aucun mot dans sa bouche. Bien au contraire, elle présente un facétieux montage de ses prises de paroles qui conserve les hésitations et le merveilleux rire de D. S. Et ce choix qu’on dirait éthique a le mérite de produire aussi un effet esthétique. Car on entend une voix, au sens mystique, fantastique. En général, la mise en scène est orchestration de ressources ordinairement tapies dans l’ombre, à l’instar de l’esprit convoqué : lumières, sons, projection de « surtitres ». C’est une des originalités et des qualités du spectacle.

Actrice au miroir d’une icône

Par là aussi, la tentative a un côté folâtre joyeux et libre. Cette fraîcheur contribue au plaisir que l’on peut éprouver et s’accompagne d’un goût du jeu commun à Delphine et Raphaëlle. La proposition tisse justement des liens entre les deux actrices sans prétention aucune, ni lourdeur, ce qui fait qu’on met du temps à comprendre tous les enjeux d’une scène comique avec le répondeur de Pôle emploi. Entre Raphaëlle, actrice singulière qui s’interroge sur son métier et sa vie et Delphine, nous percevons des échos : de là la fameuse discussion évoquée par le titre du spectacle. De plus, ce dialogue avec une morte crée une forme paradoxalement à la fois intime et distanciée. Dis-moi qui tu invoques, je te dirai qui tu es. Dis-moi comment tu le convoques et quelles voix tu entends, et tu me révéleras tout autant de toi… Tout cela, avec délicatesse, pudeur.

De Delphine Seyrig, la metteuse en scène retient les déboires d’actrice, les réflexions sur les choix de rôles, sur les diktats qui s’imposent quant à l’âge et au physique, aussi. En ce sens, les propos de Delphine Seyrig résonnent particulièrement avec notre présent. On ne saurait à ce propos que regretter qu’il soit encore si compliqué de voir Sois belle et tais -toi, le passionnant documentaire féministe de Delphine Seyrig.

Elle nous parle aussi de la femme, mais sans verser dans le biopic ou le glamour. Delphine apparaît d’abord par sa voix, et donc sa pensée, puis par un visage et un sourire qui expriment également son esprit. Un très beau dispositif scénographique nous offre en effet une diffraction de l’icône. Il instaure sa présence sans morceler le corps de la femme, comme le fait le male gaze.

Jouer et se jouer

En effet, même quand on nous montre D.S en maillot de bain, la présentation semble ironique. Même quand Raphaëlle Rousseau lui donne un corps de cinéma (celui de L’Année dernière à Marienbad ou des Lèvres Rouges), elle le fait en défaisant vite son « mime », avec un sourire et en esprit qui affirment : « On ne vous y prendra pas. On est plus maline que ça. Vous me demandez des morceaux d’anthologie. Je vous les jouerai et bien mais je vous jouerai surtout ». À coup sûr.

Le spectacle est malin, donc, dans son écriture comme dans sa dramaturgie. Reste que sur ce dernier point, il présente quelques temps morts et une fin abrupte. Le.la spectateur.rice amusé.e, stimulé.e pourrait se sentir cependant un peu frustré.e de voir s’interrompre une si intéressante conversation. 🔴

Laura Plas


Discussion avec DS, de la Raphaëlle Rousseau

Texte à paraître aux Édition Entre-deux
Écriture, mise en scène et jeu : Raphaëlle Rousseau
Collaboration artistique : Amélie Gratias
Création lumière : Benjamin Bouin
Durée : 1 h 10
Dès 15 ans

Théâtre de La Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Du 20 septembre 2023 au 7 octobre 2023 (relâche le dimanche), à 19 heures, les samedis 23 et 30 septembre, à 17 heures, le 7 octobre, à 20 heures 
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14 ou en ligne

Tournée :
• Du 8 au 10 novembre, Anthéa-Antipolis, à Antibes (06600)
• Du 19 au 21 mars 2024, Centre dramatique national de Besançon (25000)

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant