Mal de terre
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans « Du goudron et des plumes », les acrobates de la compagnie M.P.T.A. (les Mains, les Pieds et la Tête aussi) défient la loi de la pesanteur et partent à l’assaut des tempêtes. Un spectacle à la croisée du cirque, de la danse, du théâtre et des arts plastiques. Une épopée renversante, entre ciel et terre.
Le titre du spectacle annonce bien la couleur… plutôt sombre ! S’il ne s’agit pas d’un spectacle sur les marées noires, l’ambiance est bien à la catastrophe. Est-ce la fin du monde ou le big bang ? En tout cas, cette embarcation qui se balance en tout sens est le refuge de passagers dont on ne sait d’où ils viennent et où ils vont. À la dérive, c’est sûr.
Ces oiseaux-là ne sont pas mazoutés, mais bel et bien arrimés à leur radeau de fortune (qui évoque le Radeau de la Méduse). À moins que ce ne soit une île flottant dans le ciel ou un vaisseau fantôme : « Si le décor est suspendu, il évoque un sol qui se dérobe. S’il s’élève, c’est un plafond, un nuage lourd et menaçant. C’est la terre des sans-terre, l’esquif des exilés », précise Mathurin Bolze, enfant doué du cirque contemporain, directeur de la compagnie et metteur en scène.
Virevoltant dangereusement autour des mâts, les cinq acrobates-danseurs cherchent leur place sur le pont, disparaissent dans des cales béantes, s’agrippent à des tabourets fuyants, trouvent l’équilibre sur des planches à bascule, se relèvent tant bien que mal de séismes à répétition : disputes amoureuses, conflits humains et autres tourbillons de l’existence, mais aussi tornades ou tsunamis.
Mal barrés
Les performances sont époustouflantes. Légers comme des plumes (sans goudron), souples, précis, les interprètes évoluent en parfaite harmonie. Malgré le chaos ! Nous, spectateurs, nous nous accrochons aussi, car ça va vite, ça frappe fort, ça tangue à nous donner le mal de mer. Que de prouesses inédites ! Ils se balancent à une lampe plutôt qu’à un trapèze, escaladent des planches plutôt que des cordes. Oui, ces naufragés de nulle part sont mal barrés ! Ils s’adaptent à toute situation, s’en sortant souvent in extremis, inventant des solutions fort créatives, mais jusqu’à quand ? Comme nous, finalement, habitants d’une planète bien malmenée. Cette mer démontée, ces cieux dévastés, cette plate-forme déglinguée nous rappellent de récentes images d’actualité.
Pour autant, on ne sort pas de là anéanti. La chute menace, les corps sont mis en danger, certains y perdent quelques plumes, mais ces as de la voltige bravent les éléments et tiennent le cap. Malgré les désastres, contre vents et marées, ils sont vivants, là devant nous, et cela réconforte.
Un hymne à l’humain, une célébration du collectif
Surtout, la magie opère à chaque tableau. Cette imposante machine de bois et de métal qui finit déchiquetée, ces panneaux en Placoplâtre réduits en poussière symbolisent notre civilisation en crise. Aux rouages du va‑et‑vient succède progressivement l’occupation, pleine et entière, de l’espace par des individus tous reliés les uns aux autres par des mouvements dénués de tout automatisme. D’abord attirés vers le vide sidéral où nous projette le délitement social, les personnages sont peu à peu gagnés par une énergie régénératrice. Les duos jouent des situations d’échec, tandis que l’association de toutes les forces aboutit à des échappatoires. Les scènes de groupe priment pour faire triompher la solidarité, valeur essentielle au cirque.
La passerelle, après avoir tant penché, est enfin animée par une vraie force collective, retrouve alors son centre de gravité en jouant des déséquilibres. Et si l’alternative était effectivement une approche plus humaine de notre monde, avec la prise en compte de notre fragilité et l’engagement vers un « mieux-vivre ensemble » dans le respect de notre environnement ?
Pour accompagner cette tempête de sons et d’images, Philippe Foch et Jérôme Fèvre ont composé une musique qui répercute les hauts et les bas de la partition scénique. Particulièrement inspirés, ils soutiennent le spectacle, lui donnent un souffle qui porte. Conception sonore, qualité d’interprétation, puissance dramaturgique, ingéniosité de la scénographie, exigence et inventivité de la mise en scène, tous ces éléments concourent à la réussite d’un spectacle dont la grâce, tout aérienne, ne peut que renverser le public sensible à la tectonique des êtres et aux pulsations de notre planète. ¶
Léna Martinelli
Du goudron et des plumes, de Mathurin Bolze
Cie M.P.T.A.
Mise en scène : Mathurin Bolze
Avec : Mathurin Bolze, Maroussia Diaz Verbèke, Erwan Ha Kyoon Larcher, Tsirihaka Harrivel, Tom Neal
Assistanat à la mise en scène : Marion Floras
Scénographie : Goury
Lumière : Jérémie Cusenier, Christian Dubet
Son : Philippe Foch, Jérôme Fèvre
Costumes : Fabrice Ilia Leroy
Photo : © Christophe Raynaud de Lage
Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-C.D.N. • place Jacques‑Brel • 78500 Sartrouville
Réservations : 01 30 86 77 79 ou resa@theatre-sartrouville.com
Les 12 et 13 mars 2012 à 21 heures
Durée : 1 h 15
26 € | 18 € | 14 € | 9 €
Tournée :
- Les 16 et 17 mars 2012 à la Coursive, scène nationale de La Rochelle (17)