« Embedded », de Tim Robbins, Théâtre du Soleil à Paris

Embedded © Jean-Pierre Estournet

À mon commandement, pensez !

Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups

N’y a-t-il que le matraquage contre l’intox ? Affirmatif ! semble penser le sergent instructeur, qui vous hurle aux oreilles ses slogans provocateurs dans « Embedded » de Tim Robbins, spectacle monté par Georges Bigot et le Petit Théâtre de pain, qui occupent le Théâtre du Soleil jusqu’au 7 juin. Une pièce contre l’embrigadement (« embedded » signifiant à la fois « incorporés » et « coincés ») des journalistes. Un travers justement, dans lequel j’aimerais ne pas tomber.

Avec le programme, on vous remet un remarquable faux journal, où vous pouvez lire, à la une, ces nouvelles qui font réfléchir : « Libé, c’est devenu pour 40 % Édouard de Rotschild… 70 titres dont le Figaro, l’Express, l’Expansion appartiennent à M. Serge Dassault un fabricant d’armes, 47 magazines (Elle, Première, Parents…) à un industriel de l’armement M. Arnaud Lagardère ». Quel rapport avec Embedded ? Élémentaire, mes chers Watson !

Tim Robbins l’a écrit et monté avec sa propre troupe, l’Actor’s Gang, en juillet 2003, au lendemain de l’invasion de l’Irak. Il bravait ainsi le Patriotic Act, qui faisait alors de tout citoyen critiquant le gouvernement un « ennemi de la patrie ». La pièce fut un énorme succès, tant à Los Angeles qu’à New York, où, pourtant, la presse l’éreinta. Sans oublier Londres, où Tony Blair jouait, lui aussi, les escamoteurs avec son opinion publique. La célébrité de Tim Robbins, tant comme comédien que comme réalisateur, fit le reste.

Des milliers de citoyens, inquiets, affluèrent dans les deux pays, pour entendre – enfin gueulé sur une scène – ce qu’eux-mêmes commençaient à penser tout bas : qu’on les avait mystifiés. Que cette guerre allait être une ânerie coûteuse, sanglante et longue. Nul doute qu’en 2003, ce texte résonnait comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu factice des « frappes chirurgicales », et autres « bombes intelligentes » de même farine. Aujourd’hui, au plan historique, il défonce des portes ouvertes. Sauf à la fin, comme on le verra. En attendant, on peine à suivre ces histoires, la grande comme la petite, toutes deux caricaturales, à en devenir parfois d’un antiaméricanisme primaire, voire cocardier. La France, par la bouche de Chirac, n’avait-elle pas pronostiqué, avant et contre tout le monde, la tragique impasse irakienne ?

Embedded se veut une chronique, genre dans lequel habituellement les Américains excellent. On y retrouve tous les archétypes du « war movie » : le sous-off’ borné évoqué plus haut (Tof Sanchez, parfait), la fiancée patiente, l’homo sensible, la journaliste arriviste, la délurée, la sage, les braves couillons de parents, le mari aimant et ainsi de suite. De cette foule de silhouettes floues n’émergent que deux figures nettes : celle du journaliste intègre et surtout de la victime instrumentalisée : Jen (Fafiole Palassio, une grande), dont l’histoire incroyable suit pourtant, de très près, celle, absolument authentique, de Jessica Lynch.

Le problème, c’est que l’un comme l’autre arrivent bien tard ! Autant dans cette sombre histoire que sur le plateau. Voilà en effet plus d’une heure que, brechtiens comme des papes, nos acteurs-trouffions crapahutent. Passé les effets, réussis, des journalistes littéralement « aux ordres », puis des politiciens (qui auraient mieux fait de garder leurs masques, comme lors de la création en 2006), cherchant le bon slogan pour cette mauvaise guerre – comme des journalistes un bon titre –, on commence à trouver le temps long. D’autant que les décibels hard-rock de l’orchestre live – très Platoon – et les hurlements des speakers, sur fond d’explosions en Dolby, n’arrangent rien. Comment voulez-vous réfléchir avec tout ce bordel ?! Ce spectacle, pourtant, vous y invite. Que dis-je, vous somme de le faire ! Et du coup, vous assomme.

C’est dire si l’on accueille, comme un cessez-le-feu bienfaisant, la pudique prestation de Fafiole Palassio dans le rôle de l’auxiliaire Jen, tombée aux mains de l’ennemi. Une aubaine pour le « gouvernement-metteur en scène-rédac-chef », qui décide alors de monter de toutes pièces un faux sauvetage de ladite Jen, dûment filmé. Alors, enfin, commence la pièce qui, là, nous touche et nous concerne. Tout simplement parce qu’elle s’incarne en une jeune femme, blessée pour de vrai, à qui les médias infligent une seconde blessure. Morale celle-là, mais presque pire que la première : ne plus être crue, quand elle dit ce qui lui est vraiment arrivé. L’Honneur perdu de [cette] Katarina Blum * d’une guerre sans cause avouable devient alors le nôtre.

La scène où cette survivante, handicapée et désespérée (dans la réalité, Jessica Lynch avait dix-neuf ans !), ironise et propose qu’on fasse de son histoire un dessin animé est alors terrible, non seulement de vérité mais encore d’efficacité. Comme celle de l’hôpital où – les deux bras dans le plâtre –, en réapprenant à manger, elle réapprend à faire confiance. À ces moments-là, nous vibrons d’une irrépressible colère. Les acteurs ont bien travaillé : la révolte, cette fois, est bien dans la salle !

Pour ces scènes et le talent de l’actrice, il sera beaucoup pardonné à cet Embedded le reste du temps éprouvant, dans le mauvais sens du mot. On revient à notre point de départ. Oui, la dérive des médias persiste, et même empire. Non, le problème en Irak n’est plus celui que raconte Embedded. Malgré tout le respect (et il est grand) que je porte à Georges Bigot, sa mise en scène tourne hélas à vide. La pièce n’est pas assez profonde et trop datée. Le Petit Théâtre de pain, qui prête ses talents multiples à cette charge militante, n’est d’ailleurs pas en cause. C’est une troupe chaleureuse et solide. J’aurais aimé citer quelques-uns de ses membres, dans tel ou tel rôle. Mais entre les perruques, les lunettes noires, les casques et les casquettes, je m’y perds. Je saluerai ici leur bravoure et leur énergie, d’autant plus méritoires qu’anonymes. 

Olivier Pansieri

* Roman génial d’Heinrich Böll, 1974.


Embedded, de Tim Robins

Le Petit Théâtre de pain

ptdp2@wanadoo.fr

Tél. / télécopie : 05 59 49 10 09

Mobile : 06 78 19 23 97

Traduction et mise en scène : Georges Bigot

Avec : Mariya Aneva Bogdanova, Cathy Coffignal, Thalia Heninger, Fafiole Palassio, Éric Destout, Manex Fuchs, Ximum Fuchs, Frédéric Laroussarie, Guillaume Méziat, Tof Sanchez, Lontxo Yriarte

Scénographie : Christophe Vallauz et Georges Bigot

Lumières : Jean-Michel Bauer

Création sonore : Philippe Barandiaran

Costumes : Muriel Liévin

Décors : Ponpon Cazaux, Thierry Capozza

Régie technique : Joseph Duhau

Régie lumière : Pantxo Claverie

Photo : © Jean-Pierre Estournet

Administration : Aurélie Lambert

Théâtre du Soleil • route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris

Réservations : 05 59 49 10 09 ou 06 30 89 39 82

Renseignements : 01 43 74 24 08

Du 22 mai au 7 juin 2008 : du mardi au samedi à 20 h 30, samedi et dimanche à 15 heures, relâche les 26, 27, 28 mai 2008, 2 juin 2008

Dimanche 25 mai 2008, après la représentation, rencontre-débat sur la liberté de la presse, en présence de Tim Robins

Durée : 2 heures

20 € | 15 € | 12 €

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