Lettre d’amour
à une clown
chanteuse étoile
Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups
Avec son orchestre, Emma la clown fait « la chanteuse à Paris ». Elle égrène ses chansons surréalistes écrites quand elle se perd « dans le dedans du dedans » d’elle. « Ça pulse tellement sa gomme », que ça valait bien une lettre !
Chère Emma,
Je suis une vieille petite fille qui ne te connaissait pas. Enfin, rassure-toi : j’avais quand même eu vent de tes exploits. Paraît que tu as voulu devenir un ange avant de faire le tour du monde ? Et que tu t’es tapie sous le divan, pour zieuter dame Psychanalyse ? Paraît que tu as fait l’exploratrice en Afghanistan ? Et que tu rentres tout juste du cosmos, où tu t’étais catapultée pour trouver Dieu ? En tout cas, depuis vingt ans que tu fais la clown voyageuse partout sur la terre, que tu fourres ton nez patate dans les théâtres, les cirques, les rues, les ports, les métros, les écoles, les châteaux, les péniches, les squats (et j’en oublie !), pour soulager le monde avec tes facéties sucrées-salées, tu en as récolté des louanges. J’ai voulu voir ça de plus près, en traînant du côté de chez Ribes. Eh bien, Emma, s’il y a des mal emboutis qui ont dit que ce spectacle-là n’était pas le plus abouti, moi, j’en ai pris plein les prunelles. Là-haut, dans les nuages, Jacques Lecoq doit être fier de son élève.
C’est vrai que tu es tordante et émouvante, quand tu déboules et nous apostrophes avec ton bout de langue jamais dans ta poche, tes mirettes en phares de camionnette, ton sourire de Zavatta, tes mimiques désopilantes et tes gesticulations gracieuses et maladroites d’albatros mazouté. Pour le prochain Noël, tu sais, j’ai déjà commandé ma panoplie d’Emma la clown, qui donne l’air d’une collégienne dépenaillée qu’aurait pris l’eau. Chapeau cloche complètement cloche, cravate bringuebalante à signes cabalistiques sur chemise qui aplatit bien tout, jupe grise plissée-trouée, chaussettes Burlington toutes tire-bouchonnées (attention, il faut les mollets de coq qui vont avec !), godillots bayant aux corneilles : on m’a promis tous les accessoires ! Sauf ton talent tombé de la lune. Car, ce talent-là, Emma, il n’appartient qu’à toi.
« La musique, c’est mieux à plusieurs »
T’as une baguette magique ou quoi ? Parce que, franchement, nous enchanter si bien en chantant de cette petite voix aigrelette d’opérette, chapeau ! Il faut dire que tu as un sacré orchestre : trois musiciens complices pour toi toute seule… ! Tu as raison : « La musique, c’est mieux à plusieurs » ! D’autant que, devant son piano, le compositeur Mauro Coceano a très beau dos ; que, sur sa batterie, Gaël Desbois est fort sexy ; et que le Breton Michel Aumont excelle à chatouiller ses clarinettes de l’air de ses poumons. Ah, ça, ils sont trop bons à te suivre comme ils peuvent, en rap, jazz ou rock, dans cette tornade poétique où tu enfiles, comme des perles sur un fil d’émotion, tes chansons qui sont des histoires, et tes histoires qui ne sont pas toujours des chansons. Tout ça, dans ton galimatias abracadabrant, truffé de mots-valises, de phrases gigognes, de verbes traquenards, qui jouent ensemble à saute-mouton. T’en fais pas, j’ai tout compris. Avec une préférence pour… tout !
Bravo ! Parce qu’une chanson, c’est périlleux. Et là, elles font toutes et tant mouche qu’on les dirait écrites à l’encre d’une plume arrachée au bel oiseau de Jacques Prévert. Tes chansons, Emma, c’est du rêve éveillé en poudre, du Mercurochrome sur un bobo, du « défroisseur » de rides, de la crêpe dentelle fourrée aux larmes de rire, de l’alpinisme sur le mont Burlesque… Et je te jure que je n’avais plus de souffle, quand, pour la dernière, tu as envoyé valser guenilles et grimage. Redevenant toi, Meriem Menant, fragile porcelaine moulée dans sa robe rose Barbie. Où est la chrysalide, où est le papillon ?
Tout ça pour te dire que je voudrais bien devenir « ton amie formidable ». Parce que celle de ta chanson, elle te pose des lapins, non ? Moi, promis, je ne manquerai aucun de tes nombreux rendez-vous ! Réponds-moi, s’il te plaît.
P.-S. Je ne comprends pas pourquoi ton « pestacle » est déconseillé aux moins de 12 ans. ¶
Sylvie Beurtheret
Emma la clown et son orchestre, de Meriem Menant
Mise en scène : Kristin Hestad
Avec : Meriem Menant
Musique : Mauro Coceano
Musiciens : Michel Aumont (clarinettes), Mauro Coceano (piano), Nicolas Courret et Gaël Desbois (batterie en alternance)
Lumières : Emmanuelle Faure
Accessoires : Éric Huyard
Costumes : Anne de Vains
Son : Bruno Le Masson
Photo : © Wahib
Régie générale : Nicolas Lamatière
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Du 26 janvier au 27 février 2010 à 18 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 15
28 € | 16 € | 14 €