« Faire vivre une école en temps de confinement »
Par Salomé Baumgartner
Les Trois Coups
Claire Lasne Darcueil est la directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) depuis 2013. Face à la pandémie de coronavirus, elle cherche, avec les 35 membres administratifs et techniques ainsi que les enseignants, à maintenir l’enseignement et les activités culturelles.
Comment le CNSAD assure-t-il la continuité pédagogique ?
Je dois dire que je suis épatée et étonnée de l’organisation que l’école a réussi à trouver. Au début du confinement, j’ai envoyé un mail aux professeurs pour leur dire que nous avions un défi à relever. D’autant plus que nous sommes une des écoles les plus infectées, car le premier tour du concours d’entrée s’est tenu durant les quinze jours précédant le confinement et a vu défiler 6 700 personnes.
Aujourd’hui, tous les enseignements sont assurés à distance. Il n’y a pas que le théâtre : cours de danse, d’anglais, de Feldenkrais (une gymnastique douce qui entretient le corps et l’esprit)… Tout est réinventé. Nous avons procédé par phases afin de réorganiser le fonctionnement de l’école. Au cours de la première semaine, nous avons contacté tous les élèves afin de nous enquérir de leur santé et de leur possibilité de suivre des cours. Nous avons cherché des solutions pour chacun d’entre eux, en leur envoyant du matériel informatique ou en augmentant les forfaits. Le fait d’être un établissement appartenant au campus de l’université Paris sciences et lettres (PSL) a été un soutien informatique fort.
On continue toujours à résoudre des problèmes. On cherche constamment des solutions. Tout le monde est au rendez-vous, malgré les soucis, la maladie, l’angoisse. Je suis fière de diriger le CNSAD.
Est-ce possible de faire un cours de théâtre à distance ?
Le théâtre est un art vivant dont l’essence est la présence physique. C’est un contrat qui ne doit pas être trahi. Néanmoins, ruser avec les contraintes fait aussi partie de notre nature, et Sandy Ouvrier (une des enseignantes) me disait que pendant cette période, le Conservatoire était une « boîte à création incroyable ». Chaque professeur mène son cours à sa manière en s’adaptant à la fois à sa matière et aux modes de communication. La plupart des cours se font en visioconférence à l’aide de la plateforme Teams, mais on voit se développer d’autres moyens d’enseigner.
Par exemple, les élèves de première année travaillent sur La Mouette, de Tchekhov. Il leur a été demandé de correspondre entre eux, dans la peau de leur personnage, afin de continuer à travailler leur monologue intérieur. En danse, il a été proposé à ceux de deuxième année de créer un « fil d’improvisation » : chacun danse face à sa caméra ou son téléphone et l’on met bout à bout les petits films afin de créer un film dansé.
Donc, oui, c’est possible grâce à la créativité de chacun. Et puis, les élèves ne sont pas seuls à bénéficier de ces cours : on propose du Feldenkrais au personnel. Continuer une pratique d’exploration de soi, même à distance, permet aussi d’agir sur le moral.
S’adapter avec créativité
Comment adaptez-vous les évaluations et aménagez-vous les spectacles de fin d’année ?
Dans de nombreuses matières, les élèves vont être évalués à distance. Ce sera le cas pour les épreuves accordant des crédits universitaires (ECTS), ainsi que pour les soutenances de master. En revanche, les élèves de deuxième et troisième années subissent un préjudice quant aux représentations, et j’en suis désolée. Nous organisons habituellement un évènement, animé par les étudiants de deuxième année, que nous appelons les Journées de juin. Malheureusement, compte tenu des circonstances, celles-ci sont annulées. Deux spectacles des classes de troisième année connaissent le même sort.
Mais les étudiants, qui étaient en pleine répétition, cherchent d’eux-mêmes à réinventer de nouvelles formes, afin de pouvoir malgré tout « performer » leur travail. Il y a quelques jours, deux élèves ont eu l’initiative de créer une vidéo rassemblant tout le monde, afin de faire parler les corps. Seuls les travaux menés par la troupe du Tg Stan et par Manon Chircen seront joués, coûte que coûte, quand nous pourrons reprendre les cours.
Les résultats du premier tour de votre concours d’entrée sont tombés en même temps que le confinement. Sur votre site, il est indiqué que les deuxième et troisième tours seront reportés. Ce décalage des épreuves peut-il modifier ses modalités ?
Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de pouvoir dire à quel moment ils seront reportés. Cependant, il y a deux choses dont je suis sûre : tout d’abord, nous attendrons d’avoir des conditions de parfaite sécurité vis-à-vis du virus. Ensuite, ils ne pourront pas avoir lieu tant qu’il ne sera pas certain que tous les candidats puissent passer les deuxième et troisième tours. En effet, le déconfinement va vraisemblablement se faire par étapes. Ainsi, par équité, j’attendrai que tous aient la capacité de pouvoir se rendre au CNSAD.
En revanche, il n’est pas question de changer les modalités d’entrée. Ce concours, c’est surtout une rencontre avec un élève. Le troisième tour est une séance de travail. Elle est pour moi fondamentale. Elle nous permet de voir la vocation des candidats et de véritablement les découvrir sur un plateau. S’il est possible de maintenir un lien déjà existant en étant à distance, on ne peut pas fonder une rencontre autrement qu’en se voyant. Nous devons à présent organiser les deuxième tour avec 172 candidats.
Aujourd’hui, vous êtes-il possible de mesurer l’impact du confinement sur les activités du CNSAD ? Sur les interprètes de demain ?
Au CNSAD, être seul nous a, au sein de l’équipe, rapprochés : nous créons un dialogue que je trouve très beau. Et ça, on ne pourra pas l’oublier, je crois. Pour l’instant, on vit le confinement au jour le jour. Je pense qu’il y aura effectivement des changements, mais je ne peux pas en mesurer l’importance. C’est aussi parce qu’il est propre à chacun.
Vous savez, je pense beaucoup à mes étudiants en ce moment. Cette période va nécessairement les structurer, à la fois en tant qu’être humain et comédien. Je me souviens, à leur âge, de l’arrivée du sida dans nos vies, de la sidération de notre génération, de notre colère contre les laboratoires pharmaceutiques…
Je fais partie de ceux qui ne rêvent pas que la vie reprenne comme avant. Selon Gilles Clément, « la notion de catastrophe naturelle a été inventée par l’être humain. La nature, elle, se transforme ». J’espère que nous prendrons le temps de remettre en question notre façon d’agir dans le monde. J’espère que nous nous donnerons un temps pour la convalescence et la conscience.
Et je pense que cette pandémie nous a montré l’importance de l’art dans nos vies. L’énergie produite pour faire perdurer les activités artistiques et culturelles, ainsi que la multiplicité d’artistes prenant la parole prouvent à quel point nous en avons besoin. Aujourd’hui, nous revenons à nos essentiels : l’art en fait partie, comme l’amour, et l’égalité entre les êtres. ¶
Propos recueillis par
Salomé Baumgartner
Conservatoire national supérieur d’art dramatique
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