Ce qui nous lie
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Avec Ether, la cie Libertivore livre un spectacle à la qualité visuelle et acrobatique indéniable. Le duo aérien (parachutes et cordes lisses) explore les relations humaines dans un univers onirique emprunt de mystère.
Puisant son inspiration dans la nature, Fanny Soriano avait créé un solo pour une danseuse aérienne et une branche suspendue (Hêtre), puis un duo (Phasmes) et enfin une « grande forme » qui avait fait sensation avec des racines comme agrès pour traduire l’adversité d’humains face aux éléments (Fractales). Bien que plus modeste, Éther, créé pendant le confinement, dans le cadre de la 4e Biennale internationale des arts du cirque, fascine tout autant.
Fanny Soriano se penche ici sur les relations humaines. Deux jeunes femmes reliées entre elles par des cordes se font face, en miroir. Si elles se ressemblent, elles s’attirent autant qu’elles se défient. Tour à tour alliées, ennemies, sœurs ou étrangères, elles s’apprivoisent. Entre conflits et fusion, le couple évolue, avec fougue et tendresse, en déployant une large palette acrobatique de leurs corps enchevêtrés, dont des portés originaux.
Médusés
Ces corps célestes évoquent deux astres, deux mondes – l’un en suspension, l’autre plutôt ancré. Dans cet entre-deux, l’enjeu principal est le partage du territoire, en perpétuelle transformation. Malgré la grâce, les personnages doivent s’imposer, l’un par rapport à l’autre, et aussi face à un dispositif scénique impressionnant. Quel fascinant décor organique ! Au sein de cette sphère évolutive, la vie pulse de toutes parts. Entre Terre et ciel !
Occupant une grande partie de l’espace, une créature, aussi bien animale que végétale, se déploie et se contracte, en faisant naître, entre chaque respiration, d’étranges figures à la beauté saisissante. Nous sommes médusés. Mouvements et illusions d’optique se conjuguent habilement pour donner vie à cet incroyable parachute, un prototype qui résulte d’une longue recherche. Les délicates lumières de Cyril Leclerc, sur ce tissu éthéré, et la puissance d’évocation de la composition sonore originale de Gregory Cosenza confèrent à l’ensemble une belle réussite formelle. On est à la fois transporté dans les fonds marins et des paysages lunaires.
Poésie verticale
Perchée Fanny Soriano ?! Source perpétuelle d’émerveillement, la nature continue fortement de l’inspirer. C’est pourquoi, ici, elle confronte aussi les êtres humains à leur environnement. Après les arbres, l’univers…
Les interprètes se relient donc à cette planète de tissu par une corde, dans une chorégraphie sobre et subtile, transposition de la danse contact. Pauline Barboux et Jeanne Ragu (cie L’Envolée Cirque), que la metteuse en scène a rencontrées à l’Académie Fratellini (où elle donne des cours), sont danseuses sur Quadrisse, un agrès composé de plusieurs fils terminés par des pelotes qu’elles ont inventé. Elles puisent leur force dans ce cordon qui fait aussi office de courroie de transmission émotionnelle.
Même si, avec Fanny Soriano, la beauté l’emporte souvent sur le chaos du monde, cette créature, tantôt majestueuse, tantôt monstrueuse, nous plonge dans l’expectative. L’ensemble est en noir et blanc mais riche de nuances. Tout semble pouvoir advenir de cette matrice inquiétante et pourtant paisible.
Comme ce qui nous lie, finalement : « Dans le domaine de la physique, l’éther désigne des substances subtiles distinctes de la matière, permettant de fournir ou de transmettre des effets entre les corps », explique Fanny Soriano. « Et dans la mythologie grecque, Éther est une divinité allégorique qui personnifie le Ciel dans ses parties supérieures. L’air y est plus pur et plus chaud ; c’est celui qui est respiré par les dieux ».
D’essence métaphysique, ce cirque sonde la place de l’Homme dans un biotope (sur)naturel en explorant, à travers les métamorphoses de la matière, celles de l’âme et du lien fragile à l’Autre. Et c’est simplement vertigineux. ¶
Léna Martinelli
Éther, de Fanny Soriano
Mise en scène : Fanny Soriano
Avec : Pauline Barboux, Jeanne Ragu
Scénographie Oriane Bajard, Fanny Soriano
Lumière : Cyril Leclerc
Musique : Gregory Cosenza
Collaboration chorégraphique : Mathilde Monfreux et Cendrine Gallezot
Costumes : Sandrine Rozier
Conception machinerie : Arnaud Sauvage
Régie générale : Vincent Van Tilbeurgh
Régie lumière et son : Olivier Schwal
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Houdremont, centre culturel de La Courneuve • 11, av. du Général Leclerc • 93120 La Courneuve
Le 13 novembre 2021, 19 heures
Tarif : de 3 € à 12 €
Tel. : 01 49 92 61 61 • Billetterie en ligne
En partenariat avec la Maison des Jonglages, dans le cadre de la Nuit du Cirque 2021, du 12 au 14 novembre
Tournée :
- Les 18 et 19 nov, Cirque Jules Verne, Amiens
- Les 12 et 13 janvier 2022, Festival Encirqué, Sierre (Suisse)
- Les 22 et 23 février, Anthea théâtre d’Antibes (06)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Phasmes, de Fanny Soriano, par Léna Martinelli
☛ La Nuit du Cirque 2021, Territoires de Cirque, par Florence Douroux
☛ Rallye urbain, Nuit du Cirque 2021, Pôle Cirque Le Mans, par Léna Martinelli