Pour que ça ne fasse plus mâle
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Avec « Fêlures », D’de Kabal crée un nouvel ovni théâtral, sorte d’essai métissé sur le genre et l’importance du consentement dans la sexualité. Avec probité, il propose ainsi un dépassement des clichés et des manichéismes, pour émanciper le spectateur.
Venu du rap, D’ de Kabal a investi depuis longtemps les plateaux de théâtre. Il en a fait des caisses de résonances à ses chants d’indignations et des ouvroirs de formes poétiques. Il est ainsi impossible de coller des étiquettes génériques à ses spectacles transfuges, qui mêlent musique, mélopées et jeu théâtral.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’il interroge le genre aussi dans le sens où on l’entend communément. La thématique est dans l’air, mais D’ de Kabal s’y coltine depuis des années. Non seulement le questionnement affleure dans nombre de ses spectacles, mais il s’inscrit dans les ateliers de paroles qu’il mène pour libérer les hommes et réfléchir sur lui-même. Pas question donc d’instrumentaliser les propos recueillis pour en faire un matériau artistique. On le ressent d’ailleurs très bien dans Fêlures.
Un mâle, des maux
En fait, la probité est un des atouts du spectacle. D’ de Kabal affirme : « Je me suis juré il y a quelques temps de ne parler que de ma place ». Cette place est celle d’un homme qui refuse d’intégrer la communauté des mâles définie par sa capacité d’érection et de pénétration. Elle est celle d’un homme mûr qui porte en lui un petit garçon abusé par une tante. Elle est celle d’un aède qui croit en la force cathartique de la parole.
Sa parole éruptive et poétique est portée par la fine partition musicale de Franco Mannara. Torrent de colère, à la limite de la redondance (on pourrait se passer de son affichage sur des écrans), elle contraste avec le silence oppressant que font palper les comédiens. Car la mise en scène fait dialoguer l’espace de la profération occupé par D’ de Kabal et les scènes d’une vie conjugale aussi confortable qu’étouffante. La scénographie met en évidence ce dialogue en divisant l’espace en zones, dont seul un énigmatique danseur franchit les frontières.
On ne comprend pas tout, mais au cœur de l’incrédulité le questionnement peut émerger. Volontairement, D’ de Kabal ne « fait pas joli » : son travail n’est pas galvanisant mais émancipateur, au sens où il parvient à ébranler les évidences, à créer de nouvelles clés de lecture pour une généalogie de la violence sexuelle : essai complexe pour vision transformée ? ¶
Laura Plas
Fêlures. Le Silence des hommes, de D’ de Kabal
Texte et mise en scène : D’ de Kabal
Avec : Astrid Cathala, Didier Firmin, D’ de Kabal, Franco Mannara
Durée : 1 h 50
À partir de 13 ans
Théâtre de La Colline • 15, rue Malte-Brun • 75020 Paris
Du 20 mars au 13 avril 2019, du mercredi au samedi à 20 heures, le mardi à 19 heures et le dimanche à 16 heures
De 8 € à 30 €
Réservations : 01 44 62 52 52
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Le Petit Chaperon en sweat rouge, de D’ de Kabal, par Laura Plas
☛ Entretien avec Astrid Cathala, par Lorène de Bonnay