Une 72e édition ouverte sur le monde et son temps
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Olivier Py dévoile la programmation du prochain Festival d’Avignon qui se déroulera cette année du 6 au 24 juillet. Il présente les 47 spectacles (dont 35 créations et 26 coproductions), qui donneront le pouls de la création internationale, avec de nombreux spectacles engagés politiquement.
Réfugiés, terrorisme, crise écologique, WikiLeaks, questions identitaires… Cette nouvelle édition fait plus que jamais écho à l’actualité, avec un fil rouge : la question des genres. Elle s’appuie aussi sur la « singularité » et la nécessité réaffirmée d’une « alternative », comme Olivier Py l’écrit dans son éditorial : « Une nouvelle génération croit bien plus à la singularité qu’à l’agglomérat (…) l’art de la scène nous rappelle qu’il y a dans le collectif une somme de singularités qui, si elles s’accordent, peuvent véritablement changer le cours du temps (…). Nous apprenons à désirer autre chose pour que les générations à venir conservent l’ivresse du possible. »
La relève, le directeur y est sensible. C’est au jeune et populaire Thomas Jolly (36 ans) que revient l’honneur de l’ouverture dans la Cour du Palais des papes. En 2014, son Henry VI de Shakespeare, spectacle fleuve construit sur le modèle d’un Game of Thrones théâtral, est resté dans les mémoires. Thomas Jolly a d’ailleurs reçu, entre autres, le Molière du meilleur metteur en scène de théâtre public. Cette année, il mettra en scène Thyeste de Sénèque. Encore du flamboyant !
Autre représentant de la jeune garde française : Julien Gosselin, que le public avignonnais retrouvera avec plaisir. Après les Particules élémentaires (2013) et 2666 (2016), il continue d’adapter des romans. Cette fois-ci Don DeLillo et trois d’un coup, s’il vous plaît : Mao II, Joueurs, les Noms. Sans nul doute, une autre épopée au long cours.
Ouvertures
Saluons le retour de pointures internationales. Le hollandais Ivo van Hove, un habitué du Festival, qui adapte les Choses qui passent de l’auteur néerlandais Louis Couperus. Le lituanien Oskaras Korsunovas présentera sa vision de Tartuffe. L’Allemande Sasha Waltz, une grande dame de la danse contemporaine, présentera un spectaculaire Kreatur quand son compatriote Raimund Hoghe, reviendra sur la scène d’Avignon plus de 30 ans après sa première venue, aux côtés de Pina Bausch.
Olivier Py se félicite de ces retrouvailles, mais il tient à préciser que la programmation comprend 70 % de découvertes (ou de premières en France), avec la moitié de spectacles étrangers. Et si les classiques reviennent, les auteurs vivants demeurent la grande majorité. D’ailleurs, lui-même signera une création, Pur Présent, composée de trois tragédies de 50 minutes interrogeant la politique et la finance. À cette occasion, il inaugurera un nouveau lieu : la Scierie.
Résolument européen, le Festival a aussi invité les Belges Anne-Cécile Vandalem et Jan Martens, le Suisse Milo Rau, la chorégraphe andalouse Rocio Molina. Mais l’ouverture au monde se fait encore, et surtout, avec le monde arabe.
Le Moyen-Orient était déjà au cœur de l’édition 2017. Cette année, l’Iranien Amir Reza Koohestani présentera Summerless. Gurshad Shaheman, lui, créera Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, d’après des témoignages de réfugiés iraniens ayant fui des discriminations de genre, notamment. Trois créations viendront du Caire : Fille des Égyptien/nes de B.N.T. Al Masarwa, sur la condition de la femme, le Cri du Caire d’Abdullah Miniawy et Mama d’Ahmed El Attar.
Après Christiane Taubira et Anne-Laure Liégeois, c’est David Bobée qui présentera tous les jours, à midi, en accès libre, le feuilleton théâtral dans le jardin de la médiathèque Ceccano. Un épisode de Mesdames, Messieurs et le reste du monde sera consacré au procès de Kirill Serebrennikov prévu en Russie.
Genres
Didier Ruiz présentera Trans (Més Enllà), un spectacle documentaire sur des transsexuels à Barcelone, mais la question des genres ne se limite pas à la trans-identité : « C’est une manière de penser le monde, la politique, la démocratie, qui s’étend même au spirituel », précise Olivier Py. La construction sociale et culturelle des rôles féminin et masculin sera ainsi traitée, comme dans plusieurs spectacles déjà évoqués, ou encore Saison sèche, la nouvelle création de l’indisciplinaire Phia Ménard. Même les classiques abondent la thématique, notamment Iphigénie de Racine (et son rapport au patriarcat), mise en scène par Chloé Dabert.
Olivier Py, qui annonce une proportion de femmes programmées plus importante (45 %) cette année, en profite pour rendre hommage à Françoise Héritier, décédée récemment. Et sur les 140 000 spectateurs attendus, 65 % devraient être des femmes, comme souvent dans les salles de théâtre.
Humanisme
Éditorial très politique, programmation engagée… Olivier Py développe parallèlement un axe socioculturel très important. Plusieurs créations se nourrissent de projets emblématiques de l’ouverture à l’autre, de la remise en cause des normes, du respect de la singularité.
Madeleine Louarn et Jean-François Auguste mettront en scène des comédiens handicapés dans Le Grand Théâtre d’Oklahama, d’après Franz Kafka. Olivier Py présentera son Antigone, créée en 2017 avec des détenus du centre pénitentiaire du Pontet ayant obtenu des permissions spéciales. Très attaché à la « décentralisation des trois kilomètres », ce dernier a demandé au philosophe Alain Badiou d’écrire une suite aux aventures d’Ahmed, son personnage inspiré de Scapin. Interprété par Didier Galas, Ahmed revient sera donc joué en itinérance au-delà des remparts.
Jeunesse
Autre secteur important aux yeux d’Olivier Py : les spectacles tout public. L’affiche, signée Claire Tabouret, en témoigne : ils ont le regard fixe, grave, inquiet, « comme s’ils s’interrogeaient, nous interrogeaient sur leur futur, l’état du monde que nous, les adultes, nous apprêtons à leur laisser ».
Cette année, on ne compte que deux spectacles tout public, mais davantage de représentations : Au-delà de la forêt, le monde, imaginé (en français) par les Portugais Miguel Fragata et Inês Barahona, ouvrira carrément le festival. Ce spectacle parle aussi de l’exil. Ensuite, Léonie et Noélie (grand prix de Littérature dramatique jeunesse Artcena 2016), de Nathalie Papin et Karelle Prugnaud, sera très attendu.
D’ailleurs, le directeur est fier d’annoncer que 19 % des festivaliers ont moins de 30 ans : « Contrairement à ce que certains pensent, le festival n’est pas réservé à une élite et son public n’est pas vieillissant » précise-t-il. 800 heures d’interventions sont assurées durant toute l’année, en partenariat avec l’Éducation nationale : « Cela donne du sens à l’action artistique ». Une accessibilité renforcée, donc, avec de l’éducation artistique et une tarification particulière, le « quatre-quarante » soit 4 spectacles à 10 euros pour les moins de 26 ans.
Son désir d’inviter une école de théâtre participe de cet élan vers la jeunesse. Ainsi, Christophe Rauck fera travailler les comédiens de l’École du Nord, qu’il dirige, dans le Pays lointain (un arrangement), d’après Jean-Luc Lagarce.
Des spectacles en tous genres
Tandis que le chorégraphe Emanuel Gat ouvrira la seconde partie du Festival dans la Cour d’honneur, la en musique prendrait le relai, avec les mélodies de Gabriel Fauré, lors d’une soirée exceptionnelle où se succèderont, entre autres, Dominique A, Camille, Élise Caron, Philippe Katerine, Hugh Coltman…
Il faut attendre le mois de mai pour avoir la programmation définitive et peaufiner les nombreuses manifestations (Sujets à vif, Écrits d’acteurs, lectures, débats, enregistrements d’émissions, projections, expositions, rencontres professionnelles…). Mais on sait d’ores et déjà qu’Isabelle Adjani et Lambert Wilson liront, un seul soir, la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus.
Ouverture de la billetterie : le 11 juin ! 113 000 billets seront en vente (27 000 places gratuites sont réservées aux professionnels et à l’action culturelle). « De manière plus générale, c’est au public que nous devons le festival. Celui-ci n’est pas qu’une liste de spectacles; il constitue une réelle aventure politique et intellectuelle », conclut Olivier Py, un peu seul sur le vaste plateau de Chaillot, mais déjà pressé d’y être avec son équipe, ravi d’aller à la rencontre de l’Autre pour contrer la violence du monde.
À noter : le « Off » commencera également le 6 juillet et durera jusqu’au 29 juillet. ¶
Léna Martinelli
Festival d’Avignon, 72e édition
Du 6 au 24 juillet 2018
Programmation complète ici
La billetterie du Festival d’Avignon ouvrira samedi 9 juin 2018 au Cloître St-Louis et le lundi 11 juin par téléphone et sur Internet
Cloître St-Louis • 20, rue du Portail Boquier • 84000 Avignon
- le samedi 9 juin de 13 heures à 18 heures
- du 11 juin au 5 juillet, du lundi au vendredi de 10 heures à 17 heures
- à partir du 6 juillet, tous les jours de 10 heures à 19 heures
Boutique du festival • Place de l’Horloge • 84000 Avignon
- à partir du 6 juillet, tous les jours de 10 heures à 19 heures