Sacrément bon !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Avec sa programmation de qualité, le Festival de Pâques fait magistralement résonner sommets de musique sacrée, grandes pages symphoniques et remarquables œuvres de musique de chambre.
Le Festival de Pâques, dont la particularité est de mettre l’accent sur la musique sacrée, ne peut évidemment pas faire l’impasse sur l’ère baroque. Cette année, c’est la Passion selon saint Matthieu qui a été programmée, avec une référence incontestée pour l’interprétation : les Gabrieli Consort and Players. Nés au début des années 1980, dans le giron des ensembles dédiés aux instruments anciens, ceux-ci fréquentent effectivement l’œuvre de Bach depuis leurs débuts. Ses interprètes, de renommée mondiale, couvrent le grand répertoire vocal et instrumental de la Renaissance à nos jours.
Pour cette partition monumentale et expressive, ces musiciens ont su partager émotions et passion, ce qui est bien la moindre des choses lorsqu’on s’attaque à un tel morceau. Relevons particulièrement la prestation de Tim Mead, lequel séduit par la chaleur de sa voix, la virtuosité et l’élégance de son interprétation.
Parmi les cinq Passions qu’a composées Bach, c’est d’ailleurs bien celle-ci qui traite de la Rédemption avec le plus d’intensité. À cette époque, à Leipzig, où Bach officia de 1723 jusqu’à sa mort (en 1750), la tradition était de faire exécuter, lors des vêpres du vendredi saint, un oratorio de la Passion. Les nombreux chorals, qui ravivent la mémoire des souffrances du Christ, visaient à faire communier les fidèles. C’est pourquoi la compassion et l’abandon à la douleur constituent les idées maîtresses de l’œuvre. Le récitant raconte, sous forme d’une psalmodie, plusieurs épisodes de l’Évangile, de l’arrestation du Christ jusqu’à sa mise en tombeau, avec des scènes habituellement écartées des Passions. Inspirée par l’architecture de l’église dans laquelle elle a été crée, cette œuvre est complexe, car son écriture bichorale enrichit la partition, fruit d’un rapport élaboré entre voix et instruments. Bien que longue, cette interprétation respectueuse des intentions du compositeur offre une profondeur de vue, ainsi qu’une puissance dramatique et musicale remarquable.
De la ferveur sacrée à l’exaltation symphonique
Autre temps fort du festival : Résurrection, la symphonie que Mahler choisit de mettre au programme pour son concert d’adieu à Vienne en 1907, après dix ans passés à la tête de l’Opéra. C’est aussi celle qui l’introduisit auprès des publics new-yorkais et parisiens. Il faut oser se confronter à cette œuvre magistrale. Beau défi relevé par le Gustav Mahler Jugendorchester, considéré comme l’un des meilleurs orchestres de jeunes. Ce sont donc plus de 200 musiciens (européens âgés de 26 ans maximum) qu’a dirigés Jonathan Nott, chef invité des plus grands orchestres. Et avec le Chœur régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Chœur régional Vittoria d’Île-de-France, cela faisait du monde sur la scène du Grand Théâtre de Provence. Du beau monde pour révéler la puissance et les contrastes de cette œuvre. Ainsi, après le souvenir du bonheur et le dégoût de l’existence, y entend-on la voix de la foi, la terreur du Jugement dernier et l’amour empli de certitude du croyant. Une puissance tragique et spirituelle, donc, magnifiée par cette interprétation très fine.
La fougue de la jeunesse
Après ces interprètes de réputation mondiale, place aux jeunes artistes, car le Festival de Pâques se veut aussi un tremplin. Les concerts labellisés Génération@aix traduisent en effet sa volonté de transmission. Depuis ses débuts, il a ainsi permis de mettre sur le devant de la scène, aux côtés de leurs glorieux aînés, quelques-uns des talents les plus prometteurs de demain. Cette année, Renaud Capuçon et Nelson Goerner se sont prêtés au jeu, en compagnie de la violoniste Raphaëlle Moreau, de l’altiste Léa Hennino et du violoncelliste Bruno Philippe.
Avant Beethoven, le trio pour piano était un genre relativement mineur qui fournissait aux musiciens amateurs un répertoire pour leurs soirées musicales. Ces compositions sont malgré tout souvent de belle tenue. C’est le cas de ce Trio avec piano no 3 en do mineur. Les sonates pour violon et piano de Mozart ne sont pas non plus le sommet de son œuvre. Encore que celle programmée soit une merveille d’harmonie et de subtilité ! En outre, il ne faut pas négliger leur côté innovant. En effet, à la mort de Mozart, l’équilibre entre les instruments va basculer faisant du violoniste soliste un « roi » par rapport au pianiste alors réduit au rang d’accompagnateur. Ces sonates annoncent cette révolution.
Dans ces œuvres, l’accompagnement des cordes est si habilement entrelacé à la partie de clavier que les instruments se renvoient la parole en un dialogue incessant. C’est pourquoi elles exigent des interprètes une égale virtuosité. Relevons la performance de ces artistes encore en formation qui surmontent, avec créativité et dynamisme, les déchirements du grand romantique Schumann, offrant à la nature tourmentée de ce dernier un accomplissement maîtrisé de bout en bout. Force est de constater que ces jeunes-là, au talent éblouissant, ont de l’avenir. Impressionnant ! ¶
Léna Martinelli
Festival de Pâques
Grand Théâtre de Provence • 380, avenue Max-Juvénal • 13100 Aix‑en‑Provence
Réservations : 08 2013 2013
Site du théâtre : www.festivalpaques.com
Du 30 mars au 12 avril 2015
Tarifs à l’unité : de 8 € à 66 € | 4 formules : de 130 € à 180 €
https://www.youtube.com/watch?v=wzCTLimUnJo&feature=youtu.be
http://www.radioclassique.fr/evenements/festival-de-paques.html
Passion selon Saint Matthieu, BWV 244, de Johann Sebastian Bach
Orchestre et chœur : Gabriel Consort and Players
Direction : Paul McCreesh
Chœur I : Helen-Jane Howells (soprano), Tim Mead (contre-ténor), Nicholas Mulroy (ténor), Marcus Farnsworth (baryton)
Chœur II : Lhairi Lawson (soprano), Helen Charlston (mezzo-soprano), Thomas Walker (ténor), David Stout (baryton)
Photo Gabrieli Consort and Players : © Caroline Doutre
Photo de Paul McCreesh, chef d’orchestre du Gabrieli Consort and Players : © Caroline Doutre
Grand Théâtre de Provence • 80, avenue Max-Juvénal • 13100 Aix‑en‑Provence
Le 3 avril 2015, à 20 h 30
Durée : environ 3 heures (entracte compris)
Symphonie no 2 en ut mineur, Résurrection, de Gustav Mahler
Orchestre : Gustav Mahler Jugendorchester
Chœurs : Chœur régional Provence-Alpes-Côtes d’Azur, avec la participation du Chœur régional Vittoria d’Île-de-France
Avec Chen Reiss (soprano), Christa Mayer (alto)
Direction : Jonathan Nott
Chef de chœur : Michel Piquemal
Direction musique hors de scène : Leo McFall
Photo de Jonathan Nott : © Thomas Mueller
Photo de Gustav Mahler Jugendorchester et le Chœur régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et Chœur régional Vittoria d’Île-de-France : © Caroline Doutre
Grand Théâtre de Provence • 80, avenue Max-Juvénal • 13100 Aix‑en‑Provence
Le 6 avril 2015, à 20 h 30
Durée : environ 1 h 45
Génération@Aix
Trio avec piano no 3 en do mineur, opus 1 no 3, de Ludwig van Beethoven
Sonate pour piano et violon en si bémol majeur, KV 454, de Wolfgang Amadeus Mozart
Quatuor avec piano en mi bémol majeur, op. 47, de Robert Schumann
Avec Renaud Capuçon (violon), Raphaëlle Moreau (violon), Léa Hénnino (alto), Bruno Philippe (violoncelle), Nelson Goerner (piano)
Photo de Renaud Capucon : © Paolo Roversi
Théâtre du Jeu-de-Paume • 21, rue de l’Opéra • 13100 Aix‑en‑Provence
Le 3 avril 2015, à 18 heures
Durée : environ 1 h 45 (entracte compris)