Vraiment dans le cadre ?
Du ciel, surgissent un coude, un bras, puis un corps entier. Dans ce dispositif circulaire, où les spectateurs sont invités à s’asseoir sur des sièges inclinés, les yeux sont naturellement orientés vers le haut, sorte de chapiteau sans toit (ici, le plafond du boulodrome, solution de repli à cause de la météo). De cette ouverture, mince échappatoire, naissent de belles images, animées par des interprètes souples et puissants. Les figures sont exigeantes et novatrices : clés de mains et de jambes, accroches et suspensions, ou encore bascules, relèvent de l’aérien, nouveauté de la compagnie, plutôt habituée au sol.
Puis changement de perspective, grâce au dispositif suivant, cette fois-ci frontal. Au sein d’une structure métallique posée sur le sol, les acrobates effectuent des figures géométriques complexes. À quel point un cadre définit-il une peinture ? Que se passe-t-il si on enlève ses contours ? Ou inversement, qu’advient-il si l’on retire l’œuvre et que l’on se concentre sur le cadre ? A priori accessoire, cet élément structure bien l’art, puisqu’une personne qui entre ou sort du cadre, fait évènement.
Tableaux vivants
Dans la dernière séquence, les interprètes s’exposent dans un espace à présent non délimité, mais pas moins contraint, en bi frontal : un socle. Petit, il ne peut accueillir qu’une personne, obligeant celle-ci à de savants portés afin d’accueillir ses partenaires. Avec minutie, ils réalisent des sculptures en constante évolution, tout en torsions. À deux, puis à trois et enfin à quatre, les contrepoids permettent de rester debout.
Ces circassiens abordent fenêtre, cadre et socle comme des agrès. Toutes leurs caractéristiques ont été pensées en fonction des corps et des disciplines respectives. Chaque mouvement vise l’équilibre, une quête fondée sur la coopération et le contrôle physique. Pas de souffle, ni un tremblement ! L’ensemble se déroule dans le silence et la lenteur, nécessaires à la concentration. La contorsion y est traitée de façon originale, sans souffrance apparente.
Exploration radicale du cadre et de ses possibles
Entre cirque, danse et performance, le travail de recherche formel est admirable. Toutefois, on est davantage impressionnée par le niveau technique, que touchée. Épuré, voire austère, le spectacle vise moins la corde sensible que la raison : en multipliant de la sorte les points de vue, les distances et les représentations, il incite le public à déplacer le regard. Conçu pour le plein air, Frames est censé offrir d’autres représentations du paysage. Selon les configurations, la scénographie va sublimer la nature, un quartier, un lieu délabré, comme ici cette friche. Alexander Vantournhout parle de « geste politique et social ».
Lui qui raconte avoir encadré nombre de toiles vendues par son père, connaît la puissance de l’art. Inspiré des Grecs, d’Albrecht Dürer, d’Auguste Rodin, de René Magritte, James Turell, il tire également parti de la vue partielle des corps pour stimuler l’imaginaire et du hors cadre pour modifier nos perceptions. Ainsi, nous invite-t-il à plus de profondeur et d’engagement. Ses tableaux vivants et en relief empruntent donc à une technique non picturale, mais ô combien efficace, dans la représentation du proche et du lointain, voire du caché. Du hors-piste décidément hors norme.
Léna Martinelli
Frames, Alexander Vantournhout
Site de Not Standing
Concept et chorégraphie : Alexander Vantournhout
Créé et Interprété par : Chia-Hung Chung, Axel Guérin, Emmi Väisänen et Alexander Vantournhout
Dramaturgie : Sébastien Hendrickx et Rudi Laermans
Boulodrome • 32000 Auch
Les 21 et 22 octobre 2025
Spectacle vu dans le cadre de Circa, festival du cirque actuel, 38e édition du 17 au 25 octobre 2025
Tournée sur Frans Brood Productions :
• Du 8 au 12 avril 2026, Centquatre, à Paris
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Circa 2025, annonce, par Léna Martinelli
Photos : © Bart Grietens
