« Gala », de Jérôme Bel, Kaaitheater à Bruxelles

Gala de Jérôme Bel

L’Ode à la joie

Par Marie Pons
Les Trois Coups

Avec « Gala », sa nouvelle création présentée en première mondiale à Bruxelles, Jérôme Bel donne toutes ses lettres de noblesse au mot « amateur » – littéralement, celui qui aime – en faisant le pari de monter un spectacle avec une vingtaine de personnes réunies par l’amour de la danse. Un vrai baume au cœur.

On est bien dans la forme et les codes du gala, spectacle de fin d’année qui est le rendez-vous imposé pour tout parent qui a un jour pris le parti d’inscrire sa progéniture dans un cours de danse. Une présentatrice guide le déroulé de la pièce et de ses différentes parties – en français et en néerlandais, Bruxelles oblige. Les performeurs entrent un à un, traversent le plateau en moonwalk, effectuent une pirouette classique, se lancent courageusement dans une valse viennoise à deux ou dans une diagonale de grands jetés. Toute une épreuve, quelques secondes à peine, et pourtant juste le temps de montrer qui l’on est. Dès ces premières exécutions, le ton est donné : c’est un concours de talents sans gagnant et sans perdant, avec rien à prouver, sinon d’être simplement soi. Et chez Jérôme Bel, ça se lit sur leurs visages : ils sont heureux d’être là.

Les singularités quelconques

Le chorégraphe puise dans le cliché pour en faire la puissance de l’écriture dramaturgique de la pièce. On trouve, dans le désordre, l’exercice de l’improvisation en silence, le rite obligé du salut, la comédie musicale ou la simple joie de danser sur son tube préféré. Et même la danse de l’éclairagiste, qui fait vivre les entrailles du théâtre en balayant en rythme la salle de ses feux. Les gais lurons composent ainsi au fur et à mesure une danse ultracolorée (dans des costumes confectionnés par les danseurs eux-mêmes nous précise t-on), où les fragilités apparentes de chacun font la force de la proposition. Rien n’est parfait et rien ne cherche à l’être, mais la troupe bariolée met tout son cœur à l’ouvrage. La grande réussite tient à la qualité de présence des interprètes qui ont, à vue de nez, entre 7 et 70 ans. Chaque pas esquissé est une prise de parole à travers laquelle pointe une personnalité. C’est beau comme un manifeste qui s’écrit sous nos yeux, imparfait et bancal, joyeux et profondément chaleureux. Une microsociété réunie pour le meilleur, qui produit une danse collective en tirant parti de ses disparités, comme une puissante forme d’être ensemble. Jérôme Bel trouve depuis toujours dans la vie de ses collaborateurs la matière même de ses pièces. Les solos sur mesure Cédric Andrieux et Véronique Doisneau, joués par les danseurs éponymes, mettaient en scène respectivement le parcours d’un danseur de Merce Cunningham et celui d’une danseuse de l’Opéra de Paris. Débarrassée de toute convention et de tout artifice, l’écriture de Bel place l’humain et le sujet au cœur du propos. En cela, Gala est un spectacle qui rend fondamentalement heureux, comme un bonbon acidulé qui vient panser pour un temps, dans la parenthèse moelleuse de la salle de théâtre, la sinistrose ambiante.

La communauté qui vient

La pièce vient clore la vingtième édition du très énergisant Kunstenfestivaldesarts, dont le leitmotiv cette année, assorti d’une belle publication, est « The Time We Share » soit « Le Temps que nous partageons ». Jérôme Bel signe l’introduction de l’ouvrage, soulignant le rôle du théâtre comme fabrique d’espace commun : « Le théâtre est cette prodigieuse situation où nous sommes seuls ensemble. Des individus, des sujets qui auront une expérience subjective de l’œuvre théâtrale, ensemble. Nous partagerons ensemble la même expérience, nous verrons le même spectacle et après nous verrons qu’aucun de nous ne sera d’accord sur le sens de ce spectacle. Chacun de nous, les spectateurs, seront renvoyés à notre subjectivité, à notre unicité 1 ».

Et Gala, c’est exactement la sensation de partager durant une heure et quinze minutes un temps et un espace communs. Rappel nous est fait au début de la pièce de ce rôle que tient le spectacle, de l’Antiquité à nos jours, par un diaporama où défilent des salles de théâtres, grandes ou petites, cossues ou abandonnées, de par le monde. Des images comme en miroir, une projection de notre propre position de spectateur et de la nécessité que ces espaces continuent à vibrer et à vivre. Parce que après tout c’est cela, un spectacle : des fauteuils plus ou moins moelleux, une expérience et des frissons, un temps partagé. Et ce soir-là dans la belle salle du Kaaitheater le public finit debout et les danseurs tout sourire, visiblement émus sous la salve d’applaudissements. Pari gagné. 

Marie Pons

  1. The Time We Share, édité par Daniel Blanga-Gubbay et Lars Kwakkenbos, Kunstenfestivaldesarts, p. 13-14.

Gala, de Jérôme Bel

Conception et mise en scène : Jérôme Bel

Assisté de : Maxime Kurvers, Simone Truong

Avec : Esther Cloet, Chen-wei Lee, Tiran Willemse, Jared Onyango, Gabel Eiben, Anne Thuot, Sarah Baur, Oscar Noël, Viggo Maris, Sankisha Kazadi, Liza Vandendempt, Octavia De Buysscher, Annette Baussart, Christiane Gabriels, Rahmani Halima, Jolien Jaspers, Jessie Boel, Razia Alibhai, Jan Vanderlaenen

Conseil artistique et développement : Rebecca Lee

Direction technique : Gilles Gentner

Administration : Sandro Grando

Photos du spectacle : © Véronique Ellena et Herman Sorgeloos

Kaaitheater • 20, square Sainctelette • 1000 Bruxelles

Site du théâtre : www.kaaitheater.be

Du 8 au 9 et du 28 au 30 mai 2015 à 20 h 30

Durée : 75 minutes

16 € | 13 € | 8 €

Prochaines dates : Festival d’automne à Paris

www.festival-automne.com

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