« Gertrude‑le cri », de Howard Barker, l’Entrepôt à Avignon

Oser Barker

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

« Gertrude-le cri » est le chef-d’œuvre de Howard Barker, auteur anglais contemporain dont les pièces sont de plus en plus souvent représentées en France. Cette œuvre ambitieuse revisite « Hamlet » en plaçant la reine Gertrude au centre de l’intrigue. Barker est un tragédien d’aujourd’hui : son écriture exigeante mêle lyrisme et goût pour la transgression et implique un engagement sans faille des comédiens. Le Théâtre du Corbeau-Blanc, sous la houlette de Günther Leschnik, a su relever le défi avec succès.

Le premier « cri » de Gertrude, c’est celui qu’elle pousse en s’accouplant avec Claudius sur le cadavre de son mari, que celui-ci vient d’assassiner. Scène initiale d’une violence inouïe qui frise l’irreprésentable. Les comédiens ne reculent pas devant la difficulté, et osent la nudité en pleine lumière, dans le respect du texte de Barker. Cette scène de nudité n’est d’ailleurs pas la seule du spectacle. Non seulement le corps de la reine (Sophie Million, hautaine et méprisante à souhait) demeure durant toute la pièce objet de fascination, mais ses vêtements, et en particulier ses chaussures, font l’objet d’un culte presque fétichiste de la part des personnages masculins, en particulier le serviteur Cascan, interprété de façon très convaincante par Denis Mathieu.

Cette reine à la féminité épanouie est, on le voit, parfaitement immorale. Une seconde trahison succédera d’ailleurs à la première lorsque Gertrude quittera Claudius pour le duc de Mecklenburg, sorte d’avatar du Fortinbras de Shakespeare, joué très « rock’n’roll » par Thomas Roche. Entre-temps, elle aura mis au monde l’enfant de Claudius lors d’une scène d’accouchement mémorable. Quant à Hamlet (Guillaume Caubel, très bon lui aussi), il est une caricature du personnage shakespearien, « un cul-béni, un pudibond et un moraliste », qui finira par faire un mariage de raison avec Ragusa – double d’Ophélie –, une jeune fille insipide qui lit des magazines et se montre jalouse de la reine.

« Gertrude - le Cri » © Christian Peter
« Gertrude – le Cri » © Christian Peter

Barker a confié lors d’un entretien que l’idée de la pièce lui était venue d’un souvenir d’enfance : le jour où il avait surpris les cris de jouissance de sa propre mère. Cette confidence, qui fait étonnamment écho à la lecture freudienne de Hamlet, a sans doute inspiré la mise en scène de Günter Leschnik. Les relations entre Hamlet et Gertrude sont ainsi vues sous un angle nettement œdipien, et il en va de même des rapports qu’entretiennent Claudius et sa mère Isola (personnage imaginé par Barker, qui donne lieu à une composition intéressante de Marie‑Pascale Grenier). La Gertrude de Barker, veuve extasiée, apparaît bien ici pour ce qu’elle est : une sorte de Jocaste ravageuse – un être de démesure, incarnation d’une féminité fantasmatique, effrayante et destructrice.

« La scène n’est jamais un intérieur domestique, mais un espace impitoyable », écrit Barker, théoricien de son propre théâtre. Tout en s’appuyant sur une distribution très homogène constituée de comédiens expérimentés, Günter Leschnik a su créer cet espace tragique, grâce à une scénographie très sobre et un décor qui propose un bel effet de profondeur. Le noir et blanc des costumes (très réussis) renforce l’intensité dramatique, tout comme la musique rock gothique qui vient souligner certaines scènes paroxystiques et donne à l’ensemble une couleur très actuelle. Un spectacle très bien en place, même si les ultimes moments ne paraissent pas d’une clarté limpide. 

Fabrice Chêne


Gertrude-le cri, de Howard Barker

Texte disponible aux éditions Théâtrales

Théâtre du Corbeau-Blanc

06 16 16 83 39 | 06 10 22 33 63

www.theatreducorbeaublanc.com

Mise en scène : Günther Leschnik

Avec : Sophie Million, Sébastien Saint‑Martin, Denis Mathieu, Guillaume Caubel, Marie‑Pascale Grenier, Véronika Faure, Thomas Roche

Création lumière : Yann Prugnard

Photos et costumes : Christian Peter

L’Entrepôt • 1 ter, boulevard Champfleury • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 88 47 71 | 06 27 11 48 84

Du 9 au 18 juillet 2010 à 17 h 30

Durée : 2 heures

18 € | 12 €

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