« God Is in My Typewriter », d’Anna‑Mari Laulumaa, d’après Anne Sexton, The Garage International à Avignon

« God Is in My Typewriter » © Guido Venitucci

La danse du corps obscur

Par Corinne François-Denève
Les Trois Coups

En anglais, la Finlandaise Anna-Mari Laulumaa évoque la figure tragique de la poétesse Anne Sexton avec une exquise délicatesse.

En France, Anne Sexton est sans doute peu connue : rien n’a été publié d’elle en français à ce jour. Pour la « situer », on la compare souvent à Sylvia Plath, elle traduite en français : toutes deux ont en commun d’être deux belles filles de la côte Est à qui tout semblait donné, bals de « prom » et « beaux » à foison. Lorsque survint la fracture – à moins qu’elle n’ait toujours été là : psychisme brisé de deux desperate housewives incapables de faire entrer la force de leur puissance créatrice dans les carcans des réunions Tupperware, des muffins de 4 heures, et des enfants bien peignés. Et, donc, suicide au gaz, et gloire posthume, avec en héritage l’admiration ambiguë des fans féministes.

Ombre du père dans les deux cas (allemand dans le cas de Plath, incestueux [?] dans le cas de Sexton), beaucoup de points communs, et une série de poèmes et de livres rédigés entre deux internements, deux séances d’électrochocs, deux pics de dépression, et l’éclair final.

Pour raconter les instantanés de vie de cette « folle » poétesse, Anna‑Mari Laulumaa a travaillé deux ans sur les poèmes, les lettres et la biographie de l’auteur par Diane Wood Middlebrook. Elle a reçu l’adoubement de la propre fille de Sexton, Linda Sexton Gray, qui a jugé que le spectacle allait « droit au cœur » de sa mère – ce qui est pour le moins ambigu, quand on connaît la relation de Sexton Gray à sa mère.

Gageure pourtant que de raconter cette triste vie, pleine de désamour, de violence, d’abus divers, de maltraitances variées. « This is not a comedy », nous prévient-on d’emblée. Difficile en effet de ne pas céder aux pièges faciles de la représentation de la folie, de la dépression.

« Mercy Street » et butô

Seule en scène, l’actrice-metteuse en scène-productrice-auteur choisit un dispositif dépouillé. Le seul accessoire encombrant est cette « machine à écrire », une Underwood qui traîne en avant-scène. Une paire de chaussures, des bouteilles de bière, deux minuscules poupées pour représenter les deux filles de l’auteur, et un lion en peluche pour figurer son mari, suffisent à Anna‑Mari Laulumaa pour évoquer, de façon chronologique, la vie triste et glorieuse d’Anna Sexton.

Tout commence par le suicide de Sexton, et le poème « 45 Mercy Street », mis en musique par Peter Gabriel sous le titre Mercy Street. Ou plutôt : tout commence, et tout finit, par l’entrée en scène d’une femme, fragile, qui, pieds nus, dévoilant petit à petit une robe de bal pailletée. Pour cette entrée et cette sortie, Laulumaa s’est inspirée du butô, forme délicate, allusive, qui sert parfaitement son propos.

Mutine et gracieuse quand il s’agit d’évoquer Sexton enfant, petite fille solitaire dont le seul refuge est « Nana », une grand-tante que l’on va bientôt interner, Laulumaa sait aussi passer à d’autres registres, toujours sur le fil, pour évoquer les phases de poussée suicidaire, d’addiction à l’alcool de Sexton. Sa diction pâteuse trahit la camisole chimique de l’asile, son élocution encombrée l’abus de médicaments. Laulumaa sait évoquer une séance d’hypnose, un viol, un inceste surgi de l’inconscient, ou reconstruit, avec la même délicatesse.

Éblouie par son prix Pulitzer, la publication de ses poèmes, Sexton ne sait trop comment vivre cette « vie de famille » si enquiquinante, elle que l’on a dit, à l’hôpital, si « créative », et qui a pris ce diagnostic au mot. Cela ne peut que mal finir : sur une note de suicide poignante à sa fille, et sur le constat que « Life is not easy. It is awfully lonely ». 

Corinne François-Denève


God Is in My Typewriter, d’Anna-Mari Laulumaa, d’après Anne Sexton

Mise en scène : Anna-Mari Laulumaa

Avec : Anna-Mari Laulumaa

Photo : © Guido Venitucci

The Garage International, hôtel Mercure, pont d’Avignon • rue de la Balance • 84000 Avignon

Du 11 au 20 juillet 2014 à 16 heures

Durée : 1 heure

À partir de 16 ans

De 10,5 € à 15 €

La pièce est reprise au Edinburgh Fringe Festival en août 2014

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