« Humanoptère », de Clément Dazin, le Théâtre de la Ville au Montfort, à Paris

« Humanoptère » de Clément Dazin © Michel Nicolas

Jonglerie métaphysique 

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Après le solo « Bruit de couloir », créé en 2013 et qui a tourné en France et en Asie jusqu’en 2017, Clément Dazin présente « Humanoptère », un ballet chorégraphique pour sept jongleurs. Ce spectacle, hybride et puissant, recèle de visions fulgurantes qui questionnent les gestes d’une humanité polarisée sur le travail.

Tel Sisyphe roulant éternellement son rocher jusqu’au sommet d’une colline, l’Homme accomplit chaque jour des tâches absurdes pour subvenir à ses besoins. Ses actions affectent son corps et son esprit. Il jongle avec un environnement qui le transforme. Ses gestes au travail peuvent sembler risibles, gratuits, enthousiasmants ou aliénants.

Dans sa dernière création, Clément Dazin file la métaphore en montrant une petite société vaguement humaine, enfermée dans une boîte noire, évoluant dans un espace de jeu bien circonscris. Chaque créature, seule ou en groupe, lance une balle. Vers le ciel, l’ailleurs des coulisses ou l’abîme du sol. Pour communiquer ou se parler à soi-même. Emprisonné dans un univers abstrait, intemporel, à la fois familier et étrange. Les corps, augmentés par les objets circulaires, sublimés par une lumière blanche et une musique hypnotique, écrivent peu à peu un entrelacs de récits poétiques : la geste des humanoptères.

Comme dans tout récit de création, tout commence par le chaos. Les spectateurs, plongés dans le noir, sont d’abord secoués par un coup de tonnerre. Puis, des sons les envahissent : leur imaginaire s’ouvre, leurs sens s’aiguisent. D’autres éléments viennent alors perturber leur perception du monde : l’apparition éblouissante d’une meute de jongleurs aux costumes similaires et aux gestes qui se répondent; les jeux de lumière – clignotements et fondus au noir qui déstructurent l’espace-temps. Bientôt, les sept membres de cette tribu, qui pourraient sortir d’un bestiaire de Michaux ou d’un conte, prennent des directions différentes. Se déplacent-ils dans l’eau, affrontent-ils les vents, ces grands mammifères ? À moins qu’il ne s’agisse d’insectes bourdonnants. Les bruits naturels laissent bientôt place à des sons artificiels de plus en plus intenses (sonnerie, ronflement, musique électronique), qui pénètrent le spectateur.

Un dédale d’émotions et d’associations d’idées

De cette séquence inaugurale naît alors une série de tableaux chorégraphiques et jonglistiques très précis et suggestifs. Tous reflètent le monde du travail mais leur puissance évocatoire semble infinie. Les gestes parlent de compétition ou de découverte de l’Autre, de coaching d’entreprise ou d’entraînement sportif, de répétition mécanique, de pression, de révolte, de libération, d’orgasme ou de burn-out ! Les tonalités changent, passant du pathétique au comique, du réalisme au fantastique. Et chaque spectateur se crée ses histoires : un collectif d’hommes cultive la terre, resserre des boulons comme Charlot dans les Temps modernes, subit les dérapages d’un professeur de danse tyrannique, veut son heure de gloire, s’animalise ou se robotise – cerné par des sons anxiogènes d’électrodes, d’ordinateurs, de tic-tac. Parfois un individu détonne dans le groupe, se distinguant par ses gestes stylisés et sa rythmique personnelle.

« Humanoptère » de Clément Dazin © Michel Nicolas
« Humanoptère » de Clément Dazin © Michel Nicolas

Deux séquences marquent tout particulièrement : un solo et un tableau choral mettent en scène les dos des artistes. Symboles de la souffrance au travail ou du corps virtuose, ils deviennent des surfaces de projection en mouvement. En effet, mis en exergue par la lumière et la musique, ils produisent des images saisissantes : moignons, insectes, Aliens, taches d’encre d’un test de Rorschach, etc. Ces visions fantasmagoriques culminent, jusqu’au vertige, à la sidération ou au malaise.

Humanoptère reflète donc de façon allégorique le monde de la vie active. Il questionne aussi la pratique artistique du jonglage (le mouvement, le rapport au groupe et à l’objet, au sol, à l’équilibre, à la gravitation) et son enrichissement grâce à d’autres disciplines. Enfin, il porte une interrogation métaphysique sur l’Homme. Ainsi, le mélange des arts et la technique de Clément Dazin inspirée du hip hop, du butô, de la sophrologie et de la médiation, aboutissent-ils à un spectacle total bouleversant. Les artistes donnent vie aux balles qui prolongent leurs mains, ils interprètent, dansent ! Certains combinent le tout à la perfection. Leur qualité de présence irradie. Le spectateur se trouve littéralement transporté dans un autre espace-temps, une semi pénombre perturbante, remplie de silhouettes à sa semblance : des humains qui volent et chutent, inlassablement.

Lorène de Bonnay


Humanoptère, de Clément Dazin

Conception: Clément Dazin

Avec : Jonathan Bou, Martin Cerf, Bogdan Illouz, Minh Tam Kaplan, Martin Schwietzke, Thomas Hoeltzel en alternance avec Miguel Gigosos Ronda

Production : La Main de l’Homme

Créateur lumière et régie générale : Tony Guérin

Créateur son : Grégory Adoir

Régie son : Mathieu Ferrasson

Durée : 1 heure

À partir de 10 ans

Teaser vidéo

Photo : © Michel Nicolas

Le Monfort • 106 rue Brancion • 75015 Paris

Du 2 au 17 février 2018, à 20 heures

De 8 € à 25 €

Réservations : 05 55 00 98 36


Tournée :

• le 20 mars 2018, Festival Spring, Cherbourg

• le 27 mars 2018, Théâtre de Cachan

• le 29 mars 2018, Théâtre de Bagneux

• le 7 avril 2018, Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, Scène conventionnée

 


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