« Il Tartufo », Théâtre National Populaire, à Villeurbanne

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Commedia all’italiana 

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

On aura décidément vu bien des « Tartuffe » cette année, chacun proposant une lecture différente et souvent pertinente. Il est vrai que l’œuvre est riche et polysémique. Mais aucune aussi joyeuse et juste que ce « Tartufo » à la sauce Bellorini avec des interprètes italiens (du Teatro di Napoli Teatro Nazionale). Imaginez des ascendances transalpines à Molière !

Dès le lever de rideau, nous voilà transportés dans un intérieur digne des films des années héroïques du cinéma italien : si l’on omet l’absence de cloisons entre les pièces de réception et la cuisine dans cet appartement bourgeois, tout concourt à nous transporter dans le Naples de la fin des années 1960, et notamment les formidables costumes de Macha Makeïeff.

 Côté cour, la cuisine, haut lieu de la vie de famille, des commérages et confidences, des engueulades également, car ici, on crie fort, on tape sur la table avec conviction. Mais on fabrique les pâtes, on a les mains dans la farine… La vie à l’italienne en un mot ! Les murs sont vieillots, marqués par l’usure, en opposition aux pièces des maîtres avec la jolie méridienne, l’apparence soignée et surtout la grande croix de bois qui domine l’ensemble.

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© Ivan Nocera

Justement, arrêtons-nous sur cette croix. En effet, le Christ qui monte d’un pas lourd s’installer sur son lieu de calvaire semble bien fatigué, las de la médiocrité de ce qu’il voit. S’il fait partie de la famille, on est toutefois loin des croix inquisitrices du Tartuffe de Planchon. Aussi Flipote lui nettoie-t-elle le museau d’un irrévérencieux coup de plumeau… On pourrait ainsi analyser chaque élément du décor, chargé de sens tout en étant pensé pour faire rire ou sourire. Sans jamais dénaturer l’original.

Une comédie aérienne et élégante

Car nous assistons bel et bien à une comédie, et de fort belle facture. Avec des personnages de farce comme Madame Pernelle, extraordinaire Betti Pedrazzi, qui se fait déplacer en chaise roulante, sans nécessité autre qu’affirmer sa domination. De ses jambes rapides, elle accompagne le rythme mollasson de sa soubrette, moment drôlissime qui n’est pas sans évoquer la démarche de Groucho Marx.

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© Ivan Nocera

Mais venons-en aux personnages principaux de l’intrigue : Gigio Alberti en Orgon n’est ni effrayant, ni ridicule. Il porte beau, a de la prestance, est juste la marionnette d’une idée fixe. Et d’un escroc incarné par Federic Vanni en Tartuffe inédit. Ce dernier un viveur, certes, qui aime la bonne chère (la scène où il engloutit ses spaghettis est inénarrable) et ne se laisse pas dévorer par les scrupules, est aussi un personnage léger qui accompagne volontiers ses enthousiasmes de quelques pas de danse.

De la danse à la chanson, il n’y a qu’un pas. Les interprètes, tous remarquables, forment une troupe composée d’excellents comédiens-chanteurs par Bellorini, lui-même accompli dans la direction d’acteurs. Les chansons italiennes qu’ils fredonnent concourent certes à la couleur locale mais assurent la légèreté de l’ensemble : on passe d’une époque à l’autre, du patriarcat le plus bête à une libération dont on pressent les prémices. Francesca De Nicolais campe une Marianne qui a le verbe leste, proche finalement d’un Cléante (Ruggero Dondi) hostile à trop d’exubérance. Son approche du mariage forcé de Marianne est plus maternelle et sensible que colérique et revendicative.

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© Ivan Nocera

Il faut encore dire un mot de la traduction en italien par un Carlo Repetti virtuose qui a su reconstituer des alexandrins dans sa langue. Le texte chante vraiment, c’est élégant. Surtout, il concourt à la cohérence de l’ensemble.

C’est un moment de théâtre absolument réjouissant, d’une grande fidélité à l’esprit de Molière, dont on découvre des aspects peu mis en avant habituellement (alors qu’il est ici transposé en Italie !). L’occasion aussi de rencontrer un metteur en scène dont on ne connaissait pas les talents dans le registre de la comédie. Bravo ! 

Trina Mounier


Il Tartufo, de Molière

Traduction en italien : Carlo Repetti

Mise en scène, lumière et scénographie : Jean Bellorini

Avec le Teatro di Napoli – Teatro Nazionale : Federico Vanni, Teresa Saponangelo, Betti Pedrazzi, Ruggero Dondi, Daria D’Antonio, Angela De Matteo, Francesca De Nicolais, Luca Iervolino, Gigio Alberti, Giampiero Schiano, Jules Garreau

Collaboration artistique : Mathieu Coblentz

Costumes : Macha Makeïeff

Durée : 2 heures 

Playlist :

Théâtre National Populaire • 8 place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne

Du 11 au 15 mai 2022, du mercredi au samedi à 20 heures, jeudi à 19 h 30, dimanche à 15 h 30

Réservations : 04 78 03 30 00

Création le 20 avril au Teatro di Napoli – Teatro Nazionale

Tournée (en cours) :

À découvrir sur Les Trois Coups :

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