Homère en poupe !
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Épaulée par cinq formidables comédiens, Pauline Bayle nous fait redécouvrir la langue et le monde d’Homère. Sans céder aux vertiges de l’actualisation ou du péplum, son diptyque « Iliade – Odyssée » exalte le dépouillement pour faire émerger l’imaginaire et la réflexion. Une réussite.
Homère fait un tabac depuis 2015 ! La compagnie À tire d’ailes attire un public varié et fait salle comble. La première clé de ce succès est le fin travail de rhapsode accompli par la metteuse en scène. Comme dans un musée le nombre de tableaux peut écraser les œuvres, le flot de l’épopée noie parfois un détail magnifique. Mais Pauline Bayle parvient à nous faire ressentir avec une force nouvelle la beauté d’une formule ou d’un épisode oubliés, en taillant dans le texte, en le cousant avec talent.
Cette beauté s’impose d’autant plus que la parole se déploie sur un plateau dépouillé, où l’œil ne s’égare pas. Des chaises, quelques seaux, de la peinture, et voici qu’émergent, par exemple, les eaux furieuses du Scamandre ou la terre si chérie d’Ithaque. Il s’agit ici d’évoquer, voire d’invoquer, plutôt que d’illustrer l’épopée. La scénographie, presque picturale, joue en effet sur la symbolique des couleurs. Les déplacements des comédiens suffisent à suggérer une action fabuleuse. Enfin, le magnifique travail sur la lumière de Pascal Noël, qui sculpte l’ombre et la lumière, nous oblige parfois à traquer un signe, une silhouette. Le spectateur doit alors se fier à son imaginaire, comme dans un livre
Cinq garçons et filles dans le vent épique !
Place aux mots donc et aux cinq excellents interprètes qui les portent. On aurait du mal à distribuer les bons points : les comédiens sont tous investis et convaincants. Leur jeunesse redonne du lustre à des figures figées dans leur sacralisation littéraire. Évacuant toute interprétation psychologisante, ils atteignent la puissance des héros épiques et nous font admettre les partis pris les plus fous. Les deux comédiennes campent de magnifiques Hector et Achille ; les garçons nous touchent en Andromaque ou Calypso. La vérité des personnages n’est plus à chercher dans le physique de ces interprètes, c’est la magie du théâtre quand il est bien fait. Bien sûr, on frôle parfois le systématisme avec les changements de rôles ou les chœurs, mais le danger est vite écarté par les idées de mise en scène.
Ainsi, le texte nous interroge-t-il encore : les vertus dites viriles sont-elles masculines ? Que valons-nous, nous qui, tels les prétendants, ne savons pas accueillir l’étranger à notre table ? Jamais Pauline Bayle n’instrumentalise le texte pour poser ces questions, mais elle le fait résonner avec justesse. Sa démarche, opposée à celle des actualisations sottes et des péplums, est vraiment digne d’intérêt : elle aboutit à un beau moment théâtral. ¶
Laura Plas
Iliade – Odyssée, d’après Homère
Adaptation : Pauline Bayle à partir des traductions de Victor Bérard et Leconte de Lisle
Mise en scène : Pauline Bayle
Avec : Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja, Viktoria Kozlova et Yan Tassin
Durée d’Iliade : 1 h 25
À partir de 11 ans
Photo © Pauline le Goff
Durée d’Odyssée : 1 h 45
À partir de 15 ans
Photo © Lorine Baron
Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Du 8 janvier au 3 février 2018 en alternance, Iliade : les 8, 10, 15, 17, 23, 25, 30 janvier et le 1er février à 19 heures, Odyssée : les 9, 12, 16, 19, 24, 26, 31 janvier et le 2 février à 19 heures ; intégrales le samedi à 17 heures.
De 15 € à 27 € pour chacun des spectacles
De 24 € à 44 € pour le diptyque
Réservations : 01 43 57 42 14
À découvrir sur Les Trois Coups :
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☛ Lauréats du festival Impatience 2016