« Inter’Phil », de Gérard Vantaggioli, Théâtre du Chien‑qui‑Fume à Avignon

Salle de spectacle

Un fœtus bien avancé pour son âge

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

En une heure d’horloge richissime de sens, Gérard Vantaggioli s’ébroue comme un moineau dans la mare des fêlures, des incertitudes, des problématiques de notre siècle finissant. Mais il le fait avec l’œil du créateur, de l’artiste. Tel un orpailleur obstiné, l’auteur déterre les pépites poétiques qui se cachent sous les gravats du quotidien. Il prend le temps de nous glisser quelques succulences verbales, qui résonnent longtemps dans nos oreilles. Au cœur du marbre de ce texte, je n’ai pas trouvé un seul grain de sable. C’est une des plus belles proses du Off.

Le désir d’enfant, l’avortement, les enfants juifs, les différences de génération, le métier de saltimbanque, les « quotas », l’amour filial, maternel et paternel, le racisme, l’exclusion, le fanatisme… sont traités avec acuité, au plus près de la chair, du muscle des mots, avec la précision du « voyant ».

Cette « encyclopédie mouillée » de notre temps est drôle, tendre et émouvante. C’est simple : « c’est bon comme un bain de mer » ! Et foutrement réconfortant : dans cette ère de crétinisation avancée, Inter’Phil est d’une intelligence presque indécente.

La pièce est confondante de subtilité dans la logique dramatique, et passe d’un personnage à l’autre avec une maestria qui laisse sur le cul.

La mise en scène de Gérard Vantaggioli est réduite à l’essentiel : le comédien. Une ampoule électrique pour seul accessoire, pas de décors, les lumières discrètes de Pierre Struillou et de Franck Michallet, qui cultivent un climat onirique, et laissent la poésie nous frôler de ses ailes.

Pour supporter une telle charge dramatique, il fallait un grand comédien. Gérard Vantaggioli l’a trouvé : il s’appelle Philippe Alcamo. Ils travaillent déjà ensemble. Mais, ici, l’osmose entre l’auteur et le comédien est arrivée à maturité. Pour Inter’Phil, Alcamo a changé de braquet. Il a mis le grand. Le très grand. Il compose notamment, sous son visage de vieux pirate fatigué, un narrateur-fœtus facétieux et brimé de grande cuvée. Et joue tellement vrai tous les autres personnages qu’on a l’impression qu’il improvise au fur et à mesure. Pour ne citer qu’un exemple, il faut l’entendre, en avorteur habitué à fouiller « dans les tiroirs à demoiselles », conseiller à une prostituée d’éviter d’« aguicher le zouave avec son marmot dans le sac à dos » et d’avoir « un voyeur dans l’utérus » ! Inénarrable et glaçant !

Décidément, au Théâtre du Chien‑qui‑Fume, ce lieu à hauts risques artistiques, il se passe des choses passionnantes ! 

Vincent Cambier


Inter’Phil, de Gérard Vantaggioli

Mise en scène de l’auteur

Théâtre du Chien‑qui‑Fume • 75, rue des Teinturiers • Avignon

04 90 85 25 87

Du 10 juillet au 2 août, à 15 h 45 (1 heure)

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