Itinérance, Théâtre de Lorient, Simon Delétang, Morbihan

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Itinérance : cœur battant du Théâtre de Lorient

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Cap à l’ouest pour rencontrer Simon Delétang. Le parcours de son nouveau directeur dans des environnements divers témoigne d’un fort intérêt pour concilier exigence artistique et adresse au plus grand nombre. Le développement des actions itinérantes est le fer de lance de son mandat au CDN.

C’est un directeur animé par son projet qui nous a reçus, en cette veille de week-end, où nous allions découvrir le programme Itinérance et Nos matins Intérieurs, avec les musiciens du Quatuor Debussy et les jongleurs du collectif Petit Travers (lire notre critique), deux propositions représentatives de sa démarche.

Sous son impulsion, le Théâtre de Lorient devient l’épicentre d’un théâtre populaire autour de grands récits qui rassemblent, des collaborations avec des figures marquantes de tous les arts vivants et des spectacles originaux. Simon Delétang entend faire de ce lieu emblématique un port d’attache créatif, vivant et ouvert, fédérateur et généreux. Entouré des artistes Lena Paugam, Emmanuel Meirieu, Antoine de la Roche et Julie Guichard, il anime une maison vibrante. Sans oublier les artistes compagnons qui contribuent à faire de ce centre dramatique national « un repère, un phare ».

« Suzy Stork », de Magali Mougel, mes Simon Delétang

Scénographe, metteur en scène, comédien, lui-même a le démon des planches. D’ailleurs, il a ouvert la saison avec Suzy Storck (lire la critique de Trina Mounier). Avant de prendre la direction d’institutions (d’abord, de 2008 à 2012, le Théâtre Les Ateliers à Lyon, aujourd’hui sous l’égide du Théâtre Nouvelle Génération), il a été présent à la fois sur les grandes scènes (Comédie-Française, Théâtre National de Strasbourg, La Colline…) et dans des lieux plus singuliers (églises, gymnases…). Cela lui permet aujourd’hui de naviguer aisément entre les publics. S’il porte régulièrement à la scène les écritures d’aujourd’hui, il aime également créer des ponts esthétiques avec l’histoire des arts.

Ouverture et proximité

En parallèle, le développement des actions itinérantes permet de s’adresser à des spectateurs éloignés, dans l’agglomération lorientaise et au-delà : « Au programme, plusieurs spectacles spécifiques avec au moins une création par saison, conçue in situ. Aller à la rencontre des habitants, renouer un lien fort avec les gens en allant là où ils résident, prendre en compte les particularités des territoires, telles sont nos missions », explique-t-il. « Pourquoi pas leur donner ensuite envie de venir au théâtre ? En tout cas, nous leur ouvrons grandes les portes aux différents rendez-vous qui ponctuent notre saison, notamment les temps forts en extérieur : Les Escales, Litt’Oral ».

Humain, simple, Simon Delétang sait tisser des liens de qualité. Lui qui a grandi dans le Limousin (où il découvre le théâtre grâce au Festival de Bellac et au Théâtre de l’Union à Limoges), il arpente les régions depuis longtemps : « Je suis sensible aux paysages, à l’identité des territoires, à la beauté et la force de l’imaginaire, à l’ailleurs ». Déjà, en 2007, dans la Drôme, pour la Comédie de Valence, il met en scène un spectacle sur le foot, son autre passion : « C’est sans doute mon plus grand succès ! », confie-t-il. « C’est en tout cas à ce moment-là, au contact des gens, que j’ai compris le sens de mon métier ».

Ensuite, il arrive à la tête du Théâtre du Peuple Maurice Pottecher de Bussang (2017-2022), y travaille avec des professionnels et des amateurs, pour des spectacles que vient voir un public venu de toute la France. C’est là qu’il fait ses armes, avec « un répertoire populaire de haute littérature ».

Il présente, entre autres, Lenz de Büchner, durant quatre saisons, dans le Parc naturel régional des Ballons des Vosges. Au rythme quotidien de la randonnée, Simon Delétang relie à pied les villages et les vallées, pour jouer chaque soir dans un lieu d’étape différent : « Ce fut une expérience très forte, à la fois théâtrale, humaine et mystique », explique-t-il. « La journée, je disais le texte à voix haute. Je le chargeais des paysages traversés pour en restituer la teneur, le soir, sur scène. J’ai même joué dans le temple où a prêché le personnage principal de la nouvelle ».

Sacrée performance ! Ses partis pris lui font explorer des limites, sans cesse repoussées : celles d’un acteur en marche ; celle de publics, disponibles à entendre un texte exigeant. Ainsi, Simon Delétang a-t-il développé sa manière de faire du théâtre, au plus près des territoires, dans le partage et la rencontre. Une façon de renouer avec la vocation première des CDN, lieu de création, outil de démocratisation et de décentralisation.

D’est en ouest

Fort de ces expériences et riche de son parcours, il a candidaté à la direction du Théâtre de Lorient, qu’il connaissait pour y avoir déjà joué : « Quel merveilleux outil ! s’exclame-t-il. « Un équipement exceptionnel sur trois sites, dont la salle Marie Dorval (1 034 places), face au stade, le poumon de Lorient vers lequel converge toute la ville, ou presque ! Il y a dix ans, de ma loge, je voyais la pelouse du stade du Moustoir ». Avec l’équipe, il a donc imaginé un billet couplé pour faire venir des gens à un match et à un spectacle : l’Escale du 23 mars.

Les atouts de ce navire sont en effet de taille : intérêt architectural, implantation au cœur d’une ville effervescente sur le plan culturel et d’un vaste territoire, programmation pluridisciplinaire, performances techniques, équipe solide… Simon Delétang s’est fixé un cap : faciliter son appropriation par l’ensemble de la population. Il connaît bien les problématiques rurales. Il découvre à présent celle du littoral breton, même si les municipalités visées sont plutôt dans les terres.

Itinérance propose des spectacles qui se prêtent aux divers lieux d’accueil. La thématique de Retours, autour de la famille, parle à beaucoup. Surtout, la légèreté des dispositifs et la proximité instaurée contribuent à sa réception. À l’image d’une enquête policière, ce texte contemporain tient en haleine le public. Jouant sur plusieurs registres, du drame au vaudeville, en passant par le fantastique et le surréalisme, la mise en scène révèle les enjeux d’une pièce saisissante (lire notre critique).

Retours-Fredrik-Brattberg-Simon-Delétang © Jean-Louis-Fernandez
« Retours », de Fredrik Brattberg, mes de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez

Aborder des sujets délicats de façon décalée est un bon moyen de cueillir toutes sortes de personnes. Mais, comme il l’écrit dans son premier édito, Simon Delétang s’adresse aussi aux « curieux » et aux « audacieuses ». La programmation se veut donc ambitieuse. Au total, 2.400 spectateurs sont déjà touchés dans 20 communes différentes, au sein de lieux variés (salles des fêtes, centre pénitentiaire, établissements scolaires) grâce à Retours, Cinéma, Sur l’aile d’un papillon et Petite Iliade en un souffle.

« Théâtre de terrain »

Avec l’arrivée de Solène Bodereau, entièrement dédiée à ce programme, l’équipe s’est donc étoffée. Plus qu’un symbole, l’itinérance est un pilier : « Cœur battant du projet artistique, elle permet de tisser un nouveau réseau à l’échelle départementale », explique-t-elle. Diffusés sur le Morbihan, ces spectacles sont toutefois destinés à rayonner plus loin, en bonne intelligence avec les autres structures.

« Nous co-construisons avec les municipalités, nous nous appuyons sur des ambassadeurs, des relais précieux pour, parfois, convaincre des élus, faire un travail de médiation ». Les communes sont parties prenantes, pas seulement lieux d’accueil, avec une participation financière réduite par rapport au coût réel, et la charge de promouvoir leur venue : « Nous vendons les représentations à pertes pour les rendre accessibles à de petits budgets, mais le gain est inestimable. Et puis, nous sommes subventionnés, en partie pour cette mission ».

Autre singularité : Julien Chavrial est le seul comédien permanent d’un CDN. Depuis 2016, il occupe aussi la fonction de responsable pédagogique, afin d’assurer la transmission et la coordination de différentes formations. Étroitement associé, il est d’ailleurs, entre autres, à l’affiche de Retours.

Séduits par ce projet d’envergure, nous espérons de nouvelles escales à Lorient. D’ici là, nous souhaitons de beaux horizons au capitaine de ce vaisseau et de toutes ces réjouissantes embarcations. 🔴

Léna Martinelli


Itinérance

Plus d’infos ici
Contact : Solène Bodereau

Théâtre de Lorient centre dramatique national • 56000 Lorient
Réservations : en ligne ou au 02 97 02 22 70 ou par mail
Salle Marie Dorval (ex Grand Théâtre) • Parvis du Grand Théâtre
Salle Marguerite Duras (ex CDDB) • 11, rue Claire Droneau
Studio Joseph Ponthus • Rue du Tour des Portes
Toute la programmation ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
Reportage au Théâtre du Peuple, par Cédric Enjalbert

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