La nouvelle Youn Sun Nah
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Le chant est toujours apprécié par les festivaliers. Ce soir, Jazz in Marciac les a gâtés avec trois voix de femmes de grand talent quoique différentes.
L’orage (alerte orange) s’est invité, hier soir, à Jazz in Marciac. Il a nécessité l’interruption du concert de Virginie Teychené et l’évacuation du chapiteau, et même du site. C’est dommage car, en une petite demi-heure, la chanteuse m’avait donné envie de mieux la connaître : voix puissante et chaude, bien timbrée, avec de beaux graves profonds mais capable de monter. En anglais comme en luso-brésilien, l’articulation est bonne même dans les morceaux rapides. L’élégante chanteuse possède aussi un sens du swing et des dispositions pour le scat qui ne sont pas à dédaigner. À revoir…
Youn Sun Nah quartette : adieu à la poupée délicate
L’alerte passée, les festivaliers rejoignent le chapiteau pour le concert de Youn Sun Nah. C’est la troisième fois que je vois l’artiste coréenne sur scène et je dois avouer qu’elle m’a encore surpris.
Tout commence pourtant classiquement. Comme en 2012, ici même, elle inaugure le concert par un My Favorite Things (Same Girl, Hub Music / Act Music, 2010), tout empreint de la délicatesse et de la douceur qui sont la marque de fabrique à laquelle elle nous a habitués. Fort courtoisement, elle invite Virginie Teychené à chanter ce titre avec elle. Ce duo, au pied levé, est tout à fait honorable.
Hurt (Lento, Hub Music / Act Music, 2013) avec le seul Ulf Wakenius (guitare) reste un peu dans le même registre. C’est une ballade poignante qui se distingue cependant par une expression particulièrement dramatique qui contraste avec l’image lisse qu’on se fait habituellement de la chanteuse.
Le changement se fait avec Uncertain Weather, un titre de circonstance tiré de Same Girl. La nouvelle Youn Sun Nah s’y confirme avec une gestuelle nettement plus expressive et notamment des accents rauques et métalliques inédits. Le contraste entre douceur et violence y est extrême. Momento Magico (Lento) révèle, lui, une fantaisie nouvelle. Cette interprétation est saluée d’une énorme et très longue ovation.
Parallèlement, la cohésion du trio qui l’accompagne (Ulf Wakenius, Vincent Peirani à l’accordéon et Simon Tailleu à la contrebasse) se révèle désormais totale. On peut même parler de vraie complicité, notamment entre Peirani et Wakenius qui, à plusieurs reprises, rivalisent de fantaisie et d’inventivité.
De titre en titre, Youn Sun Nah s’affirme. Elle est capable de mêler des accents de bad girl et des intonations d’opéra. La plus grande douceur y côtoie une âpreté sans concession. Tout cela s’incarne sans doute le mieux dans Ghost Riders in the Sky (Lento). Youn Sun Nah y mêle une voix rocailleuse et même éraillée de rockeuse et des passages angéliques et y ajoute des bruitages de films d’horreur ou fantastiques. C’est vraiment un grand moment, que vient encore enrichir un époustouflant dialogue Peirani-Wakenius que rejoint in fine Simon Tailleu. On sort d’un tel concert avec un vrai sentiment de bonheur.
Il revient à Eliane Elias la tâche délicate de conclure le concert. La chanteuse-pianiste brésilienne, qui avait invité le saxophoniste ténor Rick Margitza, s’en acquitte avec brio, mais le charme, lui, s’est évanoui. ¶
Jean-François Picaut
Jazz in Marciac, 37e édition
Du 28 juillet au 17 août 2014 à Marciac (Gers)
Réservations : 0892 690 277 (0,34 € / min)
Site : www.jazzinmarciac.com
Photo de Youn Sun Nah : © Jean-François Picaut