Sortie au zoo… de l’humain
Par Élise Noiraud
Les Trois Coups
Calaferte est décidément en première ligne cet été à Avignon. Moi qui ne connaissais pas cet auteur, je suis servie, en allant voir, après « la Bataille de Waterloo », mon deuxième spectacle « calafertien » en une semaine. Cette fois, ce n’est pas une seule pièce, mais un regroupement de multiples textes, mis en scène par Alain Timár. Ce « voyage en pays de Calaferte », joyeusement interprété par trois comédiens sur une piste qui rappelle celle d’un cirque, nous propose une plongée intéressante dans son œuvre. C’est malicieux, drôle, émouvant, au croisement du cynisme et de l’humanité, qui fondent, apparemment, le travail de cet auteur. Sous le vitriol, la tendresse palpite.
Sur le grand plateau noir, en contrebas des gradins, une piste verte. Un faux gazon circulaire. Microcosme verdoyant, espace parfaitement pensé pour accueillir les personnages de celui qu’on a souvent appelé l’« entomologiste de la nature humaine ». Au‑dessus, des guirlandes lumineuses reliant le plafond aux murs semblent dresser un chapiteau éphémère. Dans le fond, un rideau rouge, de ceux qui appellent la magie du spectacle, du cabaret. Puis retentit une musique de cirque, et ils entrent avec l’élan des harangueurs, de ces artistes pour qui la foule n’est pas acquise et doit se gagner, à la sueur du front.
Et ils la conquièrent, la foule. Truculence des personnages, rythme effréné, chaque nouvelle scène est, telle une nouvelle surprise, un bonbon dont on fait glisser le papier et que l’on suçote doucement. La saveur, elle, est douce-amère. Les personnages pleins de relief sont parfois ridicules, grotesques, évidemment drôles, mais aussi douloureux lorsque émergent les failles. Roland Pichaud, magnifique dans le rôle d’un muet qui ne parvient pas à nous délivrer son message, nous émeut profondément quand, au travers d’un pauvre sourire, il réussit à lâcher « je voudrais qu’on me parle ».
En un mot, le « voyage » nous emmène dans des contrées déjantées, dont la bizarrerie nous rappelle à une humanité pourtant proche. Seul bémol : on regrette parfois le côté un peu « inventaire » de l’ensemble. En effet, l’enchaînement des scènes, des textes, manque parfois d’un liant, d’une ligne qui tienne la route dans la durée. La folie investie par les comédiens est réjouissante, et plutôt juste, mais elle semble parfois colmater ces béances plus que se mettre réellement au service des textes. Néanmoins, cet aspect n’entrave ni le plaisir que l’on prend à les regarder, ni celui qu’ils semblent prendre à voyager en « pays de Calaferte ». Au retour à terre, on repart léger, plus libre, comme après ces voyages où la rencontre avec la différence nous a mis plus au fait de notre propre identité, et, surtout, de notre propre humanité. ¶
Élise Noiraud
Je veux qu’on me parle, de Louis Calaferte | Voyage en pays de Calaferte
Production Théâtre des Halles, avec l’aide du ministère de la Culture et de la Communication (Drac Paca), du conseil régional Paca, du conseil général de Vaucluse, de la ville d’Avignon
Mise en scène et scénographie : Alain Timár
Avec : Yaël Elhada, Nicolas Geny, Roland Pichaud
Lumière, son, vidéo : Hugues Le Chevrel
Construction du décor : Théâtre des Halles
Costumes et accessoires : Élizabeth Baumard
Théâtre des Halles • rue du Roi‑René • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 76 24 51
Du 8 au 30 juillet 2009 à 11 heures
Durée : 1 h 30
21 € | 15 €