« la Bataille de Waterloo », de Louis Calaferte, Grenier à sel à Avignon

« la Bataille de Waterloo » © Étienne Lizambard

Ils sont fous, mais que c’est bon !

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

Le Grenier à sel, qui accueille les compagnies des Pays de la Loire, est décidément un lieu auquel on peut se fier. C’est ici que, l’année dernière, j’avais vécu mon plus beau moment du Off avec « S’il pleut, vous ramasserez mon linge », de Gérard Potier. Cette année, Patrick Pelloquet, directeur du Théâtre régional des Pays de la Loire, y présente trois textes de Louis Calaferte: « la Bataille de Waterloo », « Entonnoir » et « Trafic ». C’est le premier que j’ai vu cet après-midi. Un spectacle absolument génial, qui a eu le double mérite de me faire découvrir l’écriture incroyable de Calaferte, et de me faire rire comme cela n’avait pas été le cas depuis longtemps au théâtre.

La scène se passe dans un « appartement moderne ». Mobilier blanc, faux bocal à poisson, mannequin d’homme-plongeur avec tout son équipement dans un coin. Ils vivent là. Ils entrent. Le père, Alexandre, la mère, Gertrude, et les deux enfants, Annibal et Éléonore. Premier fou rire. L’affiche ne mentait pas… ils ont vraiment des têtes de Playmobil. Chevelure gominée et savamment renvoyée en arrière pour le père, brushing impeccable et volumineux pour la mère, perruque rousse coupée au bol pour les deux enfants, habillés de tuniques rouges et blanches tout simplement hilarantes. Sortes de figurines, de poupées excessives, ils ont la gestuelle et le verbe de ceux qu’un quotidien trop lisse a fini par lobotomiser. Et le bal commence, une ronde ahurissante, une folie complète réglée au millimètre, jusqu’au délire le plus total. Tout est normal pour eux, et c’est ça qui nous fait hurler de rire.

« la Bataille de Waterloo » © Étienne Lizambard
« la Bataille de Waterloo » © Étienne Lizambard

Attention, la vie bien réglée de cette famille maboule n’est pas totalement lisse. Une sombre menace plane et fait courir le risque d’une explosion du noyau paisible. La voisine, Mme Ondula, se balade « toujours en culotte ». Une cartomancienne qui fait des gratins de courge et accueille chez elle, la rumeur le dit, des loups-garous et des ramoneurs. Une femme qui fabrique elle-même ses culottes comme elle l’a appris chez les religieuses. Bref, il serait inutile de tenter de résumer en quelques mots l’univers loufoque et grinçant de Calaferte. Tant il foisonne. Tant il est drôle. Tant il est brillant. Tant il sait nous parler, sous un humour « vitriolé », des rapports humains et des aberrations de l’existence dans sa plus grande « normalité ». Calaferte traque le détail, le grain de sable qui enraille la machine, les moments où tout dérape, le point de non-retour. À moins que ce point de non-retour ne précède tout ce que son texte jette sur scène, et ne se niche dans une folie inhérente à l’échange entre êtres humains, quel qu’il soit.

Évidemment, le texte seul n’est que papier, et la texture, la saveur qui lui sont rendues ici ne sont imputables qu’à l’intelligence de traitement de Patrick Pelloquet et au talent magistral de ses comédiens. Ils sont tous à citer. Mais je me permettrai tout de même un immense bravo à Yvette Poirier, tout simplement jubilatoire dans le rôle de la mère. Une folie complète, mais techniquement impeccable. D’une justesse qui frise l’indécence. Et c’est là que le public exulte. Car ces comédiens, tous, maîtrisent leur partition avec une telle virtuosité qu’il ne nous faut pas plus d’une minute, à nous, spectateurs, pour nous abandonner entre leurs bras (de Playmobil) et nous laisser glisser sur la pente raide de la dinguerie, avec délice et gloutonnerie. Une pente qui tape les fesses. De rire, évidemment.

Bref, cette folie‑là fait un bien fou. C’est bien fait. Très bien fait. Du vrai, du grand, du beau travail. Patrick Pelloquet démontre à chaque instant qu’il n’a rien à prouver, mais un texte à servir. Et cette humilité‑là, servie par une finesse et une précision irréprochable, amène tout à fait logiquement sur scène un bon, un très bon spectacle. 

Élise Noiraud


la Bataille de Waterloo, de Louis Calaferte

Production Théâtre régional des Pays de la Loire

Mise en scène : Patrick Pelloquet

Avec : Pierre Gondard, Yvette Poirier, Florence Bourgès, Gilles Ronsin, Hélène Raimbault

Scénographie : Sandrine Pelloquet, assistée de Karine Trimoreau, Alice Delabre

Constructeur : Henri Gallard

Costumes : Sylvie Lombart, assistée d’Anne Poupelin

Lumières : Emmanuel Drouot

Maquillage : Carole Anquetil

Régie générale : Jean‑Yves Laurendeau

Régie plateau : Hugues Ruault

Photos : © Étienne Lizambard

Grenier à sel • 2, rue du Rempart-Saint‑Lazare • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 27 09 11

Du 9 au 31 juillet 2009 à 15 h 25, les jours impairs

Durée : 1 h 40

13 € | 9 €

Tournée :

  • Vendredi 5, mardi 9, vendredi 12 février 2010, Théâtre Interlude à Cholet (49)
  • Dimanche 7, jeudi 11, dimanche 14 février 2010, Théâtre Interlude à Cholet (49) : l’Entonnoir / Trafic + la Bataille de Waterloo (durée : 3 heures + entr’acte)
  • Mardi 16 février 2010 à 20 h 45 à l’espace Alphonse-Daudet à Coignières

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