Guy Alloucherie ouvre les vannes du silence
Par Laura Plas
Les Trois Coups
De briques et de broc, multipliant les médias et les approches, Guy Alloucherie interroge l’énigme du passé (le sien et celui du bassin minier du Pas-de-Calais). Il crée ainsi un spectacle profondément humain où l’émotion affleure sous l’humour. Remarquable.
Avant, le Pas-de-Calais vivait des mines. Les hommes y risquaient leur santé, leur vie. C’était si courant qu’on n’en parlait pas, mais les pères étaient des héros. Aujourd’hui, les mines ont fermé. À leur place, on a ouvert un musée. On a classé la brique. Mais quand les hommes seront-ils, eux, rangés au patrimoine de l’humanité ? Sans avoir l’air d’y toucher, la compagnie Hendrick-Van-der-Zee (H.V.D.Z.) pose la question suivante : « Un homme vaut-il une brique ? ». Mais ce n’est pas la seule. Le spectacle est en effet foisonnant, plein de surprises, comme son interprète.
Guy Alloucherie va en effet à sauts et à gambades, passant d’un souvenir à l’autre, émaillant son discours de digressions qui ne font peut-être que dessiner les arabesques de la mémoire. Il ouvre les vannes du silence. Il renverse dans l’intimité qu’il sait créer avec le spectateur une boîte à secrets. Inépuisable caverne d’Ali Baba. Or, son discours ne peut obéir aux principes de la classification. Il est l’anti-musée. D’ailleurs, quand le comédien se pique d’un faux didactisme, son feutre de conférencier se met à baver sur ce qu’il veut montrer. Alors, le document se brouille, mais il devient en même temps œuvre d’art. C’est pourquoi le spectacle révèle un passé intime et vivant. Pas de fantômes à vendre, mais des visages à aimer.
La patine du souvenir
En sortant, une jeune femme disait à son conjoint, ravie : « C’était émouvant, ça parlait des gens ». Elle avait raison. Car en parlant de lui Guy Alloucherie parle des siens et, par métonymie encore, de tout un pays. Le point de fuite du premier cliché ouvre l’horizon. Ensuite, la vision ne cesse de se complexifier, sans jamais se compléter. Parce que c’est dans le jeu entre les pièces du puzzle, les silences des taiseux que se dit aussi l’histoire. On aime d’ailleurs particulièrement certaines évocations incroyables : la neige sur une plage en juillet, ou les dragées distribuées à la messe à un fils de communiste, car on sent alors la patine fantasque du souvenir. Au diable l’exactitude : il est tellement plus joli de nommer une ville « Ostendre » !
La Brique est de fait aussi un spectacle où les mots révèlent un parfum subtil. Rien d’étonnant à ce que Guy Alloucherie convoque René Char ou Ferré, Barthes, Rimbaud. C’est un spectacle poétique aussi dans sa forme, car le collage sonore et visuel (admirable travail de Jérémie Bernaert) ouvre des champs et crée des émotions. Volontairement peu glamour (voir l’usage ironique de la célèbre chanson de Gilda), mais balbutiant, le spectacle est si plein d’humanité qu’il ne peut laisser insensible.
La compagnie Hendrick-Van-der-Zee cherche à faire un théâtre populaire et contemporain qui explore de nouvelles formes pour toucher les gens. C’est ici réussi. ¶
Laura Plas
la Brique, de la compagnie Hendrick-Van-der-Zee
Cie Hendrick-Van-der-Zee • base 11-19, Fabrique théâtrale, rue de Bourgogne • 62750 Loos‑en‑Gohelle
03 21 14 24 90
Site : www.hvdz.org
Courriel : contact@hvdz.org
Mise en scène : Guy Alloucherie
Avec : Guy Alloucherie
Collaboration artistique : Martine Cendre
Vidéo : Jérémie Bernaert
Lumières : Pierre Staigre
Présence Pasteur (salle Marie-Gérard) • 13, rue du Pont-Trouca • 84000 Avignon
Réservations : 04 32 74 18 54
Site : www.theatre-espoir.fr
Courriel de réservation : contact@theatre-espoir.fr
Du 5 au 27 juillet 2014 à 13 heures, relâche les 9 et 21 juillet
Durée : 1 heure
12 € | 8 € (carte Off) | 5 € (enfants de moins de 12 ans)
Nouvelles dates
- 6 mars 2017 : Phénix scène nationale de Valenciennes
- Du 3 au 8 avril 2017 : les Sept Collines, Tulle
- 2 juin 2017 : Phénix scène nationale de Valenciennes