« la Cantatrice chauve », d’Eugène Ionesco, Théâtre national de Toulouse ‑ Midi‑Pyrénées

la Cantatrice chauve © Polo Garat / Odessa

La cantatrice relookée

Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups

Sans fausse note, cette « Cantatrice chauve » mise en scène par Laurent Pelly au T.N.T. n’est pas une Castafiore, mais un bel hommage rendu à la modernité du maître de l’absurde, en couleur et en haute définition.

On a d’abord été déçu : à l’annonce du choix de la création. Car même si Laurent Pelly est l’un des meilleurs porte-parole de la figure de proue de l’absurde – avec désormais quatre pièces d’Ionesco à son actif – on espère toujours d’un centre dramatique national un peu de nouveauté. Mieux, qu’il nous présente un auteur contemporain, dont on pourrait s’enticher comme le xviie siècle s’est épris de Molière. On a eu donc Ionesco (1909-1994). Qui plus est avec un tube archiconnu : la Cantatrice chauve ou l’histoire qui n’en est pas une des Smith et des Martin, deux couples de bourgeois anglais pressés pour dîner…

Puis, le rideau s’est levé sur le plateau du T.N.T., une nouvelle fois méconnaissable. Là, un appartement « traversant », tout en longueur et en tissu écossais, accueille le public comme dans un hall d’hôtel. Dans un intérieur trop grand pour leur solitude, Mr et Mrs Smith sautent de fauteuil en fauteuil (douze au total), d’un magazine féminin à une revue de déco, d’une vacuité à une autre. Lui (Régis Lux) représente l’archétype parfait du golden boy en complet gris. Elle (hilarante Charlotte Clamens en combinaison de satin bleu) rappelle ses épouvantables stars de télé-réalité américaine, dont le ridicule est un art autant qu’un mode existentiel social.

Six personnages en quête de non‑sens

Et la distribution ne déçoit pas quand apparaît bien plus tard le couple des Martin, perdus au point de ne pas se reconnaître l’un l’autre. Impeccable Christine Brücher, familière d’Ionesco et de Laurent Pelly. Irréprochable Georges Bigot, qui longtemps fut un comédien de Mnouchkine… Et admirables les deux ensemble qui apportent à la pièce une dimension plus poétique, un Absurde avec majuscule débarrassé de ses accents sociaux. Quant au dernier couple de « non-bourgeois » (Mounir Margoum dans le rôle du pompier sexy et Alexandra Castellon, véritable révélation sous les frusques de Mary-la-bonne), il déverse dans le salon chic des Smith l’impertinence et la modernité de la jeunesse, qui seule manquait à ce beau casting.

Forte de ces atouts bien visibles, la Cantatrice chauve – que l’on a connue usée par trop de mises en scène médiocres – ressort de tout cela bien revigorée. Une fois encore, le relookeur Pelly a fait des miracles, et quel sens du spectacle ! Du prompteur géant qui déroule les didascalies et lance la pièce comme une cérémonie des oscars, à l’intégration d’une console de salon de 7e génération ou d’un digicode caméra – premiers éléments d’un attirail numérique high tech qui fait l’orgueil des hôtes –, Laurent Pelly est parvenu à placer sa scéno 4.0 dans les rares interstices du canevas ionesquien. Là où pourtant le texte, expression d’une « nouvelle forme de théâtre libre », occupe déjà et paradoxalement tous les espaces de liberté.

À l’échelle du rêve

Le metteur en scène, en familier et fils spirituel d’Ionesco, a su profiter de ces quelques brèches pour nous emmener ailleurs, au cinéma, dans les comédies musicales, un peu chez Tati, chez Lynch, chez Buñuel… Et beaucoup dans son propre univers, qui, de pièce en pièce, se peuple de personnages fantastiques et ubuesques, contient des mondes fantasmés, construits à l’échelle du rêve, et qui, comme chez Lewis Carroll, rétrécissent et grandissent à volonté… Ainsi, de Shakespeare en Hugo revisités, nous avons été préparés à accueillir une horloge à dix‑sept coups ou une sonnerie à la porte qui n’annonce rien ni personne. Sinon le probable succès de cette dernière Cantatrice qui, comme le dit Mrs Smith au pompier « se coiffe toujours de la même façon ». Mais qui cette fois a un coiffeur dans le vent. 

Bénédicte Soula


la Cantatrice chauve, d’Eugène Ionesco

Mise en scène : Laurent Pelly

Avec : Georges Bigot, Christine Brücher, Alexandra Castellon, Charlotte Clamens, Jérôme Huguet, Mounir Margoum

Scénographie : Laurent Pelly

Costumes : Laurent Pelly

Lumières : Michel Le Borgne

Son : Joan Cambon

Maquillage : Suzanne Pisteur

Accessoires : Jean‑Pierre Belin

Perruques : Zoé Van des Waal

Conseil artistique : Agathe Mélinand

Assistante à la mise en scène : Sabrina Ahmed

Collaboration à la scénographie : Camille Dugas

Construction des décors : ateliers du T.N.T. sous la direction de Claude Gaillard

Réalisation des costumes : ateliers du T.N.T. sous la direction de Nathalie Trouvé

Directeur technique : Jean‑Marc Boudry

Régisseur général : Jacques Escoffet

Régisseur plateau : Christophe Gagey

Régisseur lumières : Georges Corsia

Régisseur son : Géraldine Belin, Joan Cambon

Machinistes : Ludovic Bardet, Jean‑Jacques Duquesnoy, Laurent Fourmy, Robin Jouanneau

Électricien : Greg Faroux

Habilleuse : Sabine Rovère

Coiffeur : David Vaissière

Photo : © Polo Garat / Odessa

Production : T.N.T.-Théâtre national de Toulouse – Midi‑Pyrénées

T.N.T.-Théâtre national de Toulouse – Midi‑Pyrénées • 1, rue Pierre-Baudis • 31000 Toulouse

Réservations : 05 34 45 05 05

www.tnt-cite.com

Du 3 au 26 mars 2016, à 20 h 30 les mardi, vendredi et samedi, à 19 h 30 les mercredi et jeudi et 16 heures le dimanche. Relâche le lundi

Durée : 1 h 20 sans entracte

23 € | 14,50 € | 13,50 €

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