Simplette et le pot aux roses
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Henri de Vasselot nous fait pleurer de rire avec ce portrait de potiche majestueuse, sur fond de Belle Époque cucul la praline à souhait.
Comme dans le quadrille des lanciers, danse de salon qui enchanta la IIIe République, les couples se font face deux à deux et la chorégraphie tout entière repose sur leurs chassés-croisés. Voici du boulevard pur jus, sauf que le ton est un tout petit peu plus acerbe que d’habitude. Tout bonnement parce que l’un des quatre côtés de ce carré parfait est une cruche, une bonne poire, une gourdasse, une nunuche : les synonymes se bousculent à l’esprit du spectateur. Le sadisme avec lequel son amant, profitant de leur différence de condition sociale, maltraite la brave Margot, introduit une cruauté inhabituelle chez le plus léger des dramaturges. D’ailleurs, cette pièce figure parmi les œuvres méconnues de Courteline.
Le metteur en scène renonce à moderniser le texte en lui faisant subir le lifting des transpositions à la mode, au résultat souvent mitigé. Il choisit au contraire d’explorer le filon de l’époque qu’on appela « belle » par nostalgie rétrospective, après le passage du rouleau compresseur de la guerre de 1914. Tout est bon ici pour accentuer le côté obscène des conventions d’une société ultrapuritaine : les palmes, rosettes et autres grigris méritocratiques décorent la vanité, la loi des sacro-saintes apparences fait bon ménage avec la réalité des doubles vies, les collets montés dissimulent des dessous bien plus pornographiques qu’un string à paillettes, et ce n’est pas pour rien que la mode du faux cul connaît alors son apogée.
« Passer pour une bête aux yeux d’un crétin ! Joie ! » 1
En fin de compte, Margot n’est pas si idiote qu’elle en a l’air. D’ailleurs, comme dans Le cave se rebiffe, le procédé du crucheur cruché finit par mettre une morale à cette histoire. C’est toute la bonne société qui est ici raillée, avec ses hypocrisies, ses bassesses, les quiproquos inévitables créés par son mensonge permanent. Être l’idiot dans un univers de gens odieux, c’est presque un titre de gloire. Mais ne vous attendez quand même pas à du Dostoïevski : c’est du vaudeville, rien de plus, rien de moins.
Comme toujours, dans ce genre si souvent maltraité, c’est le rythme qui emporte l’adhésion. Rythme du texte, d’abord, avec ses formules à l’emporte-pièce qui provoquent le fou rire de façon quasi mécanique pourvu que le jeu d’acteur soit adéquat. Rythme musical ensuite : la force de la Cie l’Envolée lyrique est d’associer à la pièce tout un florilège de ce que les guinguettes et le comique troupier ont pu engendrer comme perles rares. Les comédiens sont aussi talentueux dans la mimique que dans le chant a cappella. Rossignol milanais d’or à la drôlissime Florence Alayrac qui, incidemment, est encore l’auteur des somptueux costumes. Son numéro chanté hystéro-comique de femme outragée est inoubliable. C’est d’ailleurs parce que toute la troupe rayonne du bonheur d’être en scène que le public jubile dans la salle. ¶
Élisabeth Hennebert
- Tirade de Duvernié, la Cruche, acte II, scène i
la Cruche, de Georges Courteline
Cie L’Envolée lyrique
Mise en scène et scénographie : Henri de Vasselot, assisté de Pauline Paolini
Avec (en alternance) : Antonine Bacquet / Agathe Trebucq, Florence Alayrac / Maria Mirante, Marc Sollogoub / Henri de Vasselot, Martin Jeudy / Marc Valéro / Alexander Swan
Costumes : Florence Alayrac
Création lumières : Thomas Jacquemart
Photos : © Cédric Barbereau
Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame-des‑Champs • 75006 Paris
Réservations : 01 42 22 66 87
Site du théâtre : www.lucernaire.fr
Métro : ligne 12, station Notre‑Dame-des‑Champs ; ligne 4, stations Vavin ou Saint‑Placide et ligne 6, station Edgard‑Quinet
Jusqu’au 22 janvier 2017, du mardi au samedi à 19 heures, le dimanche à 15 heures, relâche les 25 décembre 2016 et 1er janvier 2017, puis tournée nationale, voir le site de la compagnie : www.envoleelyrique.fr
Durée : 1 h 20 sans entracte
26 €, 21 €, 16 € et 11 €